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J'avais quatre ans, mon papa était parti...
14 mars 2006

Oradour-sur-Glane - II Le drame

Le samedi 10 juin 1944, comme à l'accoutumée, lorsque je me lève, Julien est déjà parti à  l'école. Il couche dans le petit lit, situé sous l'escalier mentant à la chambre. Je n'ai donc pû lui dire "au revoir".

Comme très souvent, en ce premier jour de fin de semaine, grand-père s'est levé un peu plus tard ; je l'ai d'ailleurs, entendu descendre les escalier en bois, qui grincent de plus en plus. Aujourd'hui, comme la plupart des samedis, il va consacrer une grande partie de la journée à entretenir son potager ; c'est son passe-temps, presque un violon d'Ubgres ; même si, c'est encore la terre, encore et toujours, l'objet de cette passion ; car s'en est une ! Dans ce jardin, tout est aligné, tout est tiré au cordeau ; les allées sont bien dessinées, sans aucune herbe ; chaque catégorie de légume est bien distincte, séparée de l'autre ; pas de cailloux apparents ; la terre est tamisée, légère, ratelée. Ici, pas de tas de compost venant souiller ce beau décor. Tout est net ; tout est beau ; à en faire palir des êmules du célèbre Le Nôtre.

Après mon petit-déjeuner, je pars garder mon troupeau entier, Pataud, toujours collé à mes savates. Grand-père est dans l'étable ; il nettoie à grande eau. M'étant assuré que mes quatre vaches paissent dans la bonne zone, je saisis fourche et rateau et étale de la paille bien propre ; en rentrant des prés, les animaux trouveront une belle et confortable litiére. Grand-père parait satisfait de mon travail ; il me sourit. (il va pleuvoir !). Je trouve normal de l'aider dans cette tâche. Comme le potager, comme pour tout le reste, grand-père tient absolument à ce que ses vaches soient propres, impeccables. Je n'ai jamais vu l'une d'elles, se rendre aux prés, avec des traces de fumier sur le corps. Avant de partir, elles sont lavées, brossées, peignées, comme le plus beau des étalons se présentant devant un jury, lors d'une foire.

Toujours avec mon fidèle compagnon, je passe le reste du temps à surveiller les bêtes, tout en flanant le long du Glanet.

Après le repas de midi, où grand-père est présent, je saisis un livre parmi tous ceux que maman m'a laissés et je repars aux prés.

Il n'y a pas longtemps que je suis en place, grand-père, depuis la maison m'appelle et me demande de rentrer.

Lorsque je franchis le seuil de la cuisine, et avant même d'avoir refermé la porte, les visages de mes grands-parents, semblent empreints d'inquiétude. Ouh là ! J'ai déjà vu, à maintes reprises, particulièrement à Limoges, des traits aussi tendus.

Mais, que se passe-t-il ?

Grand-père, nous dit, d'avoir entendu, depuis son jardin, des bruits inhabituels en provenance d'Oradour. Il lui semble avoir perçu des crépitements, des détonations... Il est inquiet ; certain que des choses bizarres se passent au bourg.

Nous conseillant de ne pas bouger, il prend la direction de la chataigneraie, l'endroit le plus élevè de la propriété. Arrivé sur les lieux, il saisit une échelle toujours en place pour l'entretien du bois, la cale bien contre le tronc, et commence à grimper jusqu'au faîte de l'arbre. Tout de suite, avant d'être monté jusqu'au dernier barreau de l'échelle, il aperçoit des flammes géantes qui s'élèvent au dessus du clocher de l'église. Il ne comprenf pas ; la sirène appelant les pompiers volontaires à rejoindre la caserne, n'a pas retenti. Ce n'est pas normal ! Et puis, ces cris, ces hurlements, tous ces bruits étrangers qui lui proviennent !

Que se passe-t-il ? Une seconde fois, il s'interroge !

De retour à la ferme, dans l'incapacité de nous renseigner de façon exacte sur les évènements qui se passent au bourg, il opte pour une solution d'attente ! Quand "le gamin" rentrera, il nous expliquera tout çà, patientons ; après, nous verrons !

Julien tarde à rentrer. Il est maintenant plus de 17 heures, il n'est toujours pas là ; ce n'est pourtant pas dans ses habitudes de traîner en chemin, même si avec tous ceux et toutes celles du Repaire, ils ont envie de s'amuser un peu, en se chamaillant, et en courant les uns après les autres. La journée a été longue à l'école. Et puis, en rentrant à la maison, il va leur falloir, pour certains, rentrer les bêtes aux étables, les traire ; pour d'autres, ce sont les tâches ménagères qui les attendent.

Grand-mère sursaute, et nous interroge : "Avez-vous vu les gosses rentrer de l'école ?" Grand-père fait signe que non ; je réponds à grand-mère que je n'ai rien vu, ni entendu, moi non plus.

Après un trés long moment, grand-père se dirige vers son vieux vélo, vérifie avec le pouce la pression des pneus, et d'un geste prompt, l'enfourche. Il dévale à toute vitesse le chemin qui mène à la route, et disparaît de nos yeux.

Avec grand-mère, nous n'avons pas le temps de nous poser beaucoup de questions. Un quart-d'heure à peine vient de s'écouler, grand-père réapparaît. En sueur, haletant, méconnaissable, les yeux emplis d'effroi, il pose son vélo à l'entrée de la cour, et avant d'avoir fait deux pas, sans reprendre sa respiration, il donne des ordres :

"Vite, vite, partons d'ici, sauvons-nous ; Louise, prépare de quoi dormir, de quoi manger, emmène tous les papiers ; fais-toi aider par Michel ; j'ai pas le temps, je vous expliquerai plus tard - Michel, aide ta grand-mère, il ne faut pas que l'on nous trouve ici. Si "ils" décident de venir par là, nous sommes les premiers après la sortie du bourg. Dépêchons-nous ; moi, je vais préparer les vaches.

- Mais, grand-père, elles sont encore dansle pré ; tu n'as pas voulu que je les rentre, tout à l'heure.

- T'occupes pas, avec Pataud, je me charge de les faire rentrer, et vite ; vas retrouver ta grand-mère".

Quelques minutes plus tard, je me retrouve les bras chargés de draps, de couvertures et de je ne sais quoi encore. Je croule littéralement sous le poids et sous le volume de toutes ces affaires. Mes bras ne sont ni assez grands, ni assez forts ; je plie les genoux. Oh ! je n'ai que huit ans, moi ! Pas le temps de rouspéter, même un petit peu !

"Amène tout àa à ton grand-père, et tu reviens ici ; dépêche toi. Après beaucoup d'efforts, après avoir failli me casser la margoulette plusieurs fois, j'arrive enfin sous l'appentis, grandpère s'active. Il y a déjà une paire de vaches attelée au tombereau ; il prépare maintenant l'autre attelage pour tirer la charrette. En l'espace de très peu de temps, j'effectue ainsi plusieurs alléers et retours. Combien ? Je ne sais pas ; je n'ai pas compté. Je suis épuisé. Et pourquoi tout ce remue ménage, ce déménagement en toute hâte. On ne me dit rien à moi. Grand-mère est au courant, elle ! Je les ai vus discuter à voix-basse, en me regardant du coin de l'oeil. Qu'ai-je fait ; je les gêne ? Beaucoup de questions, auxquelles je me promets, dans ma  petite tête d'apporter des réponses. J'aime savoir, même si, des fois, il ne faut pas.

Dans la cour, Pataud, lui aussi à l'air de s'interroger. Il ne remue pas sa queue ; il doit nous prendre pour des fous à courir ainsi dans tous les sens. Ayant droit à une petite pause, je vais le rejoindre ; il est content, les oreilles se redressent, la queue reprend son va-et-vient. Je viens me blottir contre lui ; pour chercher un peu de chaleur, un peu de réconfort. Oui, c'est de cela que j'ai surtout besoin ; maintenant, je me rends compte qu'il me faudrait être entouré, rassuré. Pour la première fois, et j'en suis sûr, j'ai peur ; terriblement peur. Il me semble que tout bascule autour de moi ; il me semble divaguer. Et là, bien serré contre mon chien qui me lèche partout, je pense encore à Maman, à mon grand-père ; comme j'aimerais les avoir à mes côtés. Eux seuls sauraient trouver les mots pour me rassurer, pour m'encourager, et me dire que rien n'est perdu. Comme ils me manquent ! Avec eux, je serais prêt à affronter tous les dangers. Mais, j'y pense ! Cela est déjà arrivé pourtant. Dans ma tête, passent tous les évènements vécus : à Limoges, à Saint-Amand, à Limoges, encore ! A chaque fois, j'ai frôlé le pire, mais vraiement sans m'en rendre compte. En réalité, je n'avais été ; chaque fois, qu'un simple spectateur : je ne faisais que constater les dégâts ; quand il y en avait. Maintenant, je devenais acteur ; un mauvais acteur, sans rôle exact, sans texte à apprendre, sans scénario. Rien n'était écrit, je ne pouvais improviser ; je n'avais pas droit à la parole, j'obéissais, tout simplement, tout bêtement, comme un âne "Fais ceci, fais cela, viens ici, va la-vas". J'agissais ; comme un automate.

D'un seul coup, je me réveille. Grand-mère ferme les volets, en bas, en haut ; elle pousse des verrous, de l'extérieur, des targettes, à l'intérieur ; tout cela grince, coine ; "il faudra mettre de la graisse".

Deux grands seaux sont pleins ; c'est la nourriture du cochon - "Grand-mère, tu veux que je donne à manger aux poules et aux lapins ?

- Pas la peine ! c'est fait. Je ne t'ai pas attendu !

- Ah, bon !"

Je vois grand-père installer des chaînes à l'entrée de sa réserve. Il fait de même à la petite porte du grenier ; il ajoute même un vieux cadenas ; il le ferme, mais pourra-til le rouvrir ? Il n'y a pllus de clé depuis longtemps !

Plusieurs fois, il fait le tour des bâtiments pour s'assurer sans doute n'avoir rien oublié.

"Allez, en route, montez dans le tombereau, vous serez mieux ; vous pourrez vous appuyer contre les ridelles.

- Mais grand-père, ou va-t-on ?

- Tu verras, grimpes ".

Avant d'avoir eu le temps de réagir, il me prend sous les épaules et hp, me balance juste à côté de grand-mère, déjà installée. Il appelle Pataud, l'attache à l'arrière de la charette, en lui laissant quelques mètres de corde.

Nous voilà partis. Pour combien de temps ? Et les bêtes, elles restent là ?

"Grand-père, tu n'amènes pas le cochon, ni les poules, les canards, les lapins ?

- Où veux-tu que je les mette ; ils attendront qu'on revienne.

- Ah, bon ; alors !"

Voilà enfin une nouvelle : nous reviendrons. Reste encore à savoir, quand ? Dans combien de temps ? comme d'habitude : nous verrons !

Se plaçant en tête de convoi, l'aiguillon sur l'épaule, il hurle presque.

"Ca y est, vous êtes prêts ? Alors, on y va ; hue ! Vous derrière, vous ne dites rien ; pas de bruit !"

Placés en queue du cortége, nous voilà partis. La première halte ne tarde pas. Arrivés à la châtaigneraie, nous nous arrêtons. Grand-père grimpe en haut de son échelle. Après un court instant d'observation, il redescend. Même s'il ne parle pas fort, je l'entends très distinctement dire à grand-mère : "Ca brûle toujours, partons :". Là, j'ai compris ; mais qu'est-ce qui brûle ?

Dans le plus grand silence, nous redemarrons. Bringuebalés, à droite, à gauche, nous traversons des bois, des champs, encore des bois ; nous franchissons, parfois avec difficultés, des ornières, heureusement aséchées, mais en grand nombre. Enfin, presque à la tombée du jour, et après plusieurs petites poses, en plein milieu d'un bois, grand-père nous autorise à descendre : "Bon allez, maintenant, ça va ; nous ne risquons plus rien. Personne ne pourra nous trouver ; nous allons passer la nuit cici,  et demain matin, nous verrons."

A peine descendu, tout seul, comme un grand, je m'emprese d'aller détacher mon brave Patud. Pendant tout le trajet, il n'a pas manifesté ; pourtant, je suis certain, que comme moi, il se pose un tas de questions ; il doit partager mon inquiètude. De surcroît, je crois bien qe c'est la première fois qu'il se retrouve attaché à une corde. Libre comme l'air, il a ses habitudes, et n'y déroge jamais. Il sait où il peut, ou ne peut aller ; il connait les interdits : la cuisine, l'étable. La nuit, il a sa niche bien à lui, sans laisse, prêt à sauter sur le premier intrus. A le regarder, je ne trouve pas d'autre expression : il a l'air d'un chien battu. Pas très original, je sais. Je n'ai pas le temps d'arriver à la charrette, que : "Laisse le chien où il est, il ne bouge pas ! reste avec lui, si tu veux !" Je n'insiste évidemment pas, et commence à carresser mon bon toutou. Pendant ce temps, grand-père libére les vaches de leurs jougs ; pauves bêtes, elles aussi doivent être fatiguées ; il les attache à un arbre, en leur laissant beaucoup de corde à chacune. mais, que vont-elles trouver à brouter ? Il n' y a que de la mousse, des feuiles, un peu d'herbe, mais très peu. Grandmère est déjà en pleine activité ; après avoir déchargé quelques paniers, elle fait son tri ; dans la précipitation, peut-être a-t-elle oublié quelque chose. Penché sur mon compagnon, encore parti dans d'autres lieux, avec d'autres gens, je n'entends pas grand-père s'approcher de nous : "Michel, viens avec moi, il faut que je te parles". Je sors de ma semi-léthargie, sursaute :

"Que veux-tu, grand-père ?

- Suis moi, ne restons pas ici"

Me prenant par la main, il m'entraine un peu plus loin, dans une sorte de clairière.

"Miche, tu es assez grand, aussi, je vais te dire pourquoi nous avons quitté la ferme aussi rapidement. Tu sais, cet après-midi, lorsque je suis parti à vélo pour me rendre au bourg, et que je suis revenu très vite...

- Oui, grand-père.

- Devines un peu ce que j'ai vu ?

- Quoi ?

- J'avais à peine passé le chemin de Pragoueix, que j'ai vu des flammes qui montaient tout droit dans le ciel, dans la direction d'Oradour.oradour Plus j'avançais, et plus je voyais des choses horribles. La minoterie, au bord de la Glane était en feu ; chez Marcel, chez Roger, partout, tout brûlait : les maisons, les granges, les hangars. Plus je m'approchais du bourg, plus je sentais la châleur m'envahir. Dans le dernier virage, juste avnt l'étang du Chalet St Vincent, j'ai aperçu à travers les arbres, des mitrailleuses installées au milieu de la route : c'étaient des allemands ; il y en avait partout. Ils couraient dans tous les sens ; ils criaient beaucoup. Ils ne m'ont pas vu ! Tu sais, ton grand-père, il est vieux ! Mais, sans descendre, j'ai pris mon vélo par la selle, et j'ai fait demi-tour, sans tomber, et j'ai appuyé bien fort sur les pédales, pour revenir à la ferme.

- Mais, grand-père, pourquoi les allemands sont à Oradour, et qu'ils brûlent tout ?

- Et comment veux-tu que je le saches ! Tu sais, ici les gens sont tranquilles. Il n'y a pas de résistants ; ou ils sont partis ailleurs ! Avec les autres !

- Mais grand-père, pourtant, les deux messiers qui sont venus au Glanet, en voiture, l'autre jour ; c'est bien des résistants, il y avait des armes dans leur camionnette ; je les ai vus ! (j'avais remarqué cela dans la semaine, sans rien dire).

- Oh ! ceux là, ils sont pas bien dangereux ; ils font ça pour se faire voir : ce sont des godelureaux ; pour plaire aux filles, c'est tout.

- Ah bon ! Alors, eux ils font pas la guerre ?

- Ca risque pas !

- Mais, alors, grand-père, pourquoi sommes nous partis ;  nous non plus, on fait pas la guerre !

-Nous sommes partis, parceque si l'envie leur prend de passer par le Repaire, ils vont faire comme à Oradour : tout brûler ; et comme nous sommes les premiers en quittant le bourg, tu comprends.

- Mais grand-père, chez Raymond, et chez Mathieu, aux Cros, ils sont encore plus prêt, eux.

- Oui, je sais, mais ils font ce qu'ils veulent. S'ils tiennet à rester, qu'ils restent. Mais, les connaissant, et placés comme ils le sont, ils auront vules flammes bien avant nous. T'inquiètes pas, ils ont dû partir, eux aussi.

- Et Julien, pourquoi l'avons-nous pas attendu ?

- Oh ! il sera sûrement parti avec d'autres gamins. Le maître se sera occupé d'eux !"

J'étais rassuré ; en partie ; et puis je savais même pas où nous étions, et pour combien de temps. Puisque mon grand-père était, enfin, décidé à me parler, autant en profiter : " Grand-père, mais où sommes-nous, où nous as-tu emmenés ?

- Nous sommes dans le bois de chez Micoud ; on l'appele le taillis des brandes. Nous ne sommes pas lloin d'Orbagnac. Je connais bien ; dans ma jeunesse, j'avais des camarades qui habitaient là. Le dimanche, nous partions à vélo, parfois même à pied, pour aller danser à la Malaise. Noun dei Di ! on rigolait bien ! Maintenant, c'est fini tout ça, il y a les automobiles ! Et puis, il y a plus de jeunes ; ils sont à la guerre !

- Combien de temps nous restons ici ?

- Je sais pas ; pas trop j'espère ; en espérant qu'il n'y aura pas d'orage. Demain, j'irai voir ça de plus prés !"

Lorsque nous revenons, grand-mère a installé une couverture sur le sol. Elle a sorti quelques victuailles de ses paniers, elle a même emmené un peu de vaisselle : des assiettes, des verres. A chacun elle distribue un peu de cochonaille, avec un peu de pain. Elle n'a même pas oublié d'emporter un peu de cidre pour grand-père. A la première vache située la plus prés de nous, elle soutire un peu de lait pour elle et pour moi. Avec une pomme pour terminer, mon premier repas sur l'herbe s'achève. Ne seraient-ce les circonstances, je trouve cela amusant ; pas trés confortable, mais marrant !

Ayant obtenu l'autorisation, je donne à  manger à Pataud. Conservant la laisse occasionnelle à laquelle il était attaché depuis longtemps, et le libérant de la charrette, nous partons tous les deux. Grand-père me demande de ne pas trop nous éloigner. "Ne t'inquiète pas, j'emmène Pataud à la Clairière où nous étions tout à l'heure ; j'ai vu un point d'eau, il va aller boire, et je le ferai courir un peu".

Depuis nôtre dernière conversation, j'ai la très nette impression que le courant entre nous deux, passe beaucup mieux. Même si la peur m'a souvent tenaillée pendant cette journée, je n'ai rien dit, et ne me suis jamais plaint. J'ai sauvé les apparences !

Après nôtre petit repas champêtre, nous restons assis, sans trop parler.J'ai toujours Pataud à mes côtés. Grand-mère n'est pas trop contente : "T'aurais pas dû raconter tout ça à ce gamin ; tu vas lui faire peur." Si elle savait... grand-père ne lui répond pas ; il hausse les épaules et lève un bras, signe qu'il n'y a plus rien à ajouter.

Il y a déjà longtemps que la nuit est tombée. Nous montons tous les trois dans le tombereau. Grand-mère a installé des couvertures, un couvre-pied ; il y a même un édredon. Serrés tous les trois l'un contre l'autre, grand-mère à mes côtés, les nerfs sans doute épuisés à la suite de cette fuite (c'est le mot) je m'endors très vite. Peut-être en est-il autrement pour mes grands-parents ; sûrement, grand-père doit monter la garde. Et Pataud ? Ils ont bien voulu que je l'attache sous nôtre "véhicule".

Le lendemain matin, lorsque je me réveille, je suis tout seul. Grand-père n'est pas là ; grand-mère, elle, a trait les vaches ; ces pauvres bêtes n'ont pas été "libérées" la veille. Je déjeune avec un peu de lait froid, et avec des gâteaux secs ; il y en a une pleine boîte en fer. J'en garde deux ou trois que je cache dans la poche de ma culotte courte ; je les donnerai à mon copain, à mon compagnon de malheurs.oradour1

Maintenant que j'ai bien dormi, que mes idées sont bien en place, que je sais surtout pourquoi nous sommes ici, même si la peur est encore en moi, je me sens un peu rassérené. Grand-père a sans doute raison : il nous fallait quitter la ferme, et nous mettre à l'abri. D'ailleurs, le voilà qui revient ; il a même emmené Pataud avec lui ; sans laisse. C'est à peine croyable. Il revient, avec deux seaux pleins d'eau. Il est allé la chercher dans la clairière où nous sommes allés hier. Il les donne aux vaches ; elles ont soifs ; en trés peu de temps, les deux ustensiles sont vidés "Dans l'après-midi, nous essaierons de les faire paître là-bas ; il y a un peu d'herbe, mais attendons".

Depuis que je suis levé, il me semble entendre des bruits déjà entendus ailleurs : à Limoges. Ce sont des chenillettes ou des engins du même type, j'en suis certain. Mon sang ne fait qu'un tour, la panique me saisit à nouveau. Grandpère s'en aperçoit "Ne t''inquiète pas, nous ne risquons rien ; entre nous et la route, il y a plus de cent mètres de bois ; mais si nous sommes mieux cachés, nous sommes beaucoup plus prés du bourg qu'à la ferme". Je ne suis pas trop rassuré, quand même. Dans ma tête, les bruits sont près, trop près !

Le dimanche, habituellement, se sont d'autres bruits que nous entendons. Ceux des enfants qui passent sur la route, au bout des prés, sur le pont du Glanet. A pied, à vélo, ils se rendent au bourg. Endimanchés, accompagnés d'un parent lui aussi dans ses pllus beaux atours, tous ceux qui vont encore au catéchisme se rendent à la messe. eglise_1D'autres, des adultes vont acheter une petite gâterie chez le boulanger-patissier du bourg. Ils en profitent pour faire un tour, bien souvent au café, sur la place du champ de foire. Ils y rencontrent d'autres cultivateurs des hameaux voisins.

Aujourd'hui, nous ne voyons rien, et pour cause. Nous n'entendons rien, si ce n'est ces bruits intermittents et désagréable, qui ne présagent rien de bon.

Après notre repas froid de midi, grand-père prend la décision d'aller faire une reconnaisance du côté du bourg. Il veut voir, de ses propres yeux, ce qui se passe exactement. Il est relativement inquiet. Dans la matinée, à plusieurs reprises, nous avons très nettement perçu des crépitements d'armes automatiques ; des rafales, brèves, à répétition. Après réflexion, il revient sur son idée d'emmener les vaches dans la clairière ; il la repousse à plus tard.

"Vous en bougez toujours pas... Michel, si tu veux partir avec le chien, ne t'éloigne pas trop. Je n'en ai pas pour longtemps. Dans une demi-heure, je serai de retour".

Aussitôt, armé d'un simple bâton pour écarter les branchages et se faire un passage au travers des buissons, il part.

Son absence me pése. Grand-mère ne dit rien. J'ai la trés nette impression qu'elle s'inquiète ; et si grand-père ne revenait pas ? Si les allemands, sur le qui-vive venaiient à le surprendre ? Je ne suis vraiment pas tranquille. Je ne pense même plus à aller promener Pataud. Je suis transi, figé ; j'ai encore peur ; peut-être encore plus. Que faire sans grand-père ?

Heureusement, il ne reste pas trop longtemps absent.

Dès qu'il apparaît, mon coeur recommence à battre normalement.

"Rien n'a changé ; ils sont toujours là ; tous leurs véhicules sont alignés, les uns derrrière les autres. Il y en a au moins sur un kilomètre. Il n'y a plus de flammes, mais beaucoup de fumée. Il ne reste plus rien. Tout est brûlé ; ça sent mauvais ; une drôle d'odeur, c'est presque irrespirable. Et pourtant, les allemands vont et viennent, d'un véhicule à l'autre. Cette odeur ne les gêne pas ! Pour l'instant, on ne bouge pas d'ici. Nous resterons encore cette nuit. Demain dans l'après-midi, je retournerai voir si il y a du nouveau."

Le reste de l'après-midi nous semble terriblement long. Quelquefois, je pars avec Pataud, jusqu'à la clairière. A plusieurs reprises, grand-père va chercher de l'eau pour les bêtes ; elles sont sages, et ne brament pas une seule fois. Et puis, même, comme dit grand-père pour me rassurer, ce n'est pas en entendant des vaches, que les allemands vont s'alarmer ; des vaches à la campagne, c'est normal ! Je n'y avais pas pensé ! Et Pataud ? Lui, il n'aboie jamais, sauf quand il est vraiment content, et c'est pas le cas, ou quand il aperçoit un inconnu ; ce n'est pas le cas, non plus, tant mieux !

En été, au mois de Juin, les journées sont longues. Encore plus aujourd'hui. J'ai hâte d'aller me coucher, et de dormir. Pendant ce temps, je ne pense à rien.

C'est seulement lorsqu'il fait nuit noire que nous regrimpons dans le tombereau. Si grand-père chuchote un petit moment, sans doute pour tenter de nous rassurer, grand-mère, elle, ne dit toujours pas un mot, sauf pour demander à grand-père de se taire et de nous laisser dormir. Cela ne tarde pas.

Quand je me réveille, chose inhabituelle, c'est grand-père qui trait les vaches. Encore du lait, du bon lait à disperser dans les quelques saignées qui nous entourent. Quel gachis ! Je pense à tous les copains de Limoges qui eux me manquent. Mais que font-ils en ce moment ? Peut-être que d'autres bombardements sont intervenus. Et maman, et mes grands-parents, que font-ils ? Bien sûr, ils ne peuvent pas s'imaginer que depuis deux jours, nous avons quitté la ferme, et que nous nous cachons en plein milieu d'un bois. Moi, je pense souvent à eux. Ils me manquent énormément, et ne peuvent rien faire pour moi, pour nous ! A bien réfléchir, il vaut mieux qu'ils ne sachent rien ; surtout ma maman ; je la connais bien, elle serait encore plus malheureuse que moi.

Me voilà à nouveau reparti dans mes pensés. Pas pour longtemps. Grand-père met son doigt devant la bouche, pour nous demander de ne rien dire, de ne pas bouger.

Effectivement, il se passe quelque chose au bourg. Il y régne apparement une grande agitation. On perçoit très nettement des bruits de moteurs qui tournent, des chenillettes qui se déplacent, des exclamations peut-être des ordres donnés. On peut tout imaginer ; on ne voit rien. Grand-mère est de plus en plus anxieuse ; elle se retourne fréquemment vers son époux, dans l'espoir de le voir prendre une décision. Mais comme prévu la veille, il préfére attendre le début de l'après-midi, pour partir en reconnaissance.

Notre second pique-nique de la mi-journée se passe dans un calme absolu. Personne ne parle ; chacun s'observe. Seul, Pataud, libéré de sa laisse, tourne inlassablement autour de nous pour quémander un peu de nourriture. Etrangement, plus aucun bruit ne nous parvient du bourg. Absolument rien !

Dès le repas terminé, visiblement impatient de savoir, grand-père je jette sur son grand baton et s'éloigne.

"Grand-mère, crois-tu que nous allons rester encore longtemps ici ? Surprise par le ton triste avec lequel j'ai posé ma question, pas plus enjouée que moi, elle se contente de hausser les épaules : "Je n'en sais pas plus que toi, attendons que ton grand-père soit de retour."

Son absence se prolonge assez longtemps. Lorsqu'il débouche du dernier buison, sans attendre de nous avoir rejoints "Allez, on plie bagages, il n'y a plus de danger ; les allemands sont partis en fin de matinée. J'ai aperçu des gens du pays qui se rendent au bourg. Il y a beaucoup d'agitation." J'ouvre de grands yeux, et me retourne vers mon bon copain : "Pataud, nous rentrons à la maison ; ce soir tu vas coucher dans ta niche". Je n'ai pas le temps de trop m'épancher : "Michel, laisses le chien, viens nous aider : dones un coup de main à ta grand-mère ; moi, je m'occupe des bêtes". Eh bien, voilà, ça recommence ; comme samedi !

Comme si tout avait été bien réglé, lorsque grand-père achéve d'atteler les bêtes, grand-mère, avec mon aide, quand même, termine le chargement des charrettes.

Tout le monde à pied ; grand-père, devant, ne prend plus de précaution ; à voix haute et ferme, il encourage les vaches à avancer. Derrière, nous ne trainon pas non plus. Pataud, lui va de droite à gauche, et remue la queue. Il a compris, et sa truffe sent déjà l'air de la demeure familiale. Le tombereau et la charrette grincent de plus en plus. Les ornières, les saignées sont franchies sans prendre trop de ménagements. Pourtant, grandpère a pour habitude de soigner son matériel. Là, ill faut avancer et vite. Je suis sûr que lui aussi commençait à trouver le temps long ; mais il ne disait rien, et ne laisser rien paraître. Peut-être pour ne pas nous décourager encore plus.

Lorsqu'après avoir traversé la chataîgneraie, nous apercevons la ferme, je me sens revivre. Enfin, tout va de nouveau revenir comme avant. Plus besoin de se cacher, je vais pouvoir recommencer à courir dans les prés, retourner pêcher avec Julien, attraper des écrevisses, m'amuser avec mon chien, retrouver mon lit.

En arrivant aux abords de la batisse, ce qui me surprend le plus, c'est le silence total : personne, pas un bruit si ce n'est le cochon, qui sentant nôtre présence, grogne de plus en plus. Grarnd-père conduit nos deux véhicules jusque devant le jardinet, pour faciliter le déchargement. Il détele les vaches, et me demande de les mener au pré ; ce que je fais avec empressement. Je retrouve mes habitudes. Lorsque je reviens, mes grands-parent s'activent après avoir fait sauter verrous, chaines et tout autre système de fermeture, ils se pressent de nourrir tout le cheptel. Désirant me rendre utile, ayant retrouvé un meilleur moral, je grimpe sur le tombereau et décharge tout ce qui n'est pas trop lourd pour mes petits bras.

Au bout d'un moment, sans doute un peu fatigué de monter et de descendre du tombereau, je m'accorde une petite pause. Je pense à Julien ; comment se fait-il qu'il ne soit pas là. Où est-il passé pendant les deux jours précédents ? Ne nous trouvant pas ici samedi au retour de l'école, il ne serait pas reparti sans nous prévenir. Peut-être est-il chez un voisin ? Lorsqu'il n'y a pas de travail d'urgent à la ferme, cela lui arrive. Il a un bon copain, au Repaire, qui, comme lui est réfugié et sans aucune nouvelle de ses parents.

Alors que je m'apprête à remonter dans le chariot, j'aperçois Victor qui traverse le pré en contrebas et qui vient vers moi. C'est le fils de nôtre voisin le plus proche ; c'est un échalas pas bien fûté, mais très gentil et pas fainéant.

"Bonjour, Victor, comment vas-tu ?

- Oh ! ça va pas très bien, avec toutes ces miséres !

Et Pierre il est pas là ?

- Si, si, attends je vais le chercher".

Je fais le tour de la batisse et je retrouve grand-père dans la grange, avec grand-mère. Ils profitent de nôtre "déménagement" pour mettre un peu d'ordre avant les battages.

"- Grand-père, il y a Victor qui veut te voir".

Nous repartons tous les trois dans la cuisine, où Victor nous attend ; il est impatient, et n'attend même pas que nous soyons assis. Grand-mère lui sert un verre de cidre.

"Mais où étiez-vous passé, durant ces deux jours, vous nous avez fait peu ! Dimanche matin, le pére en s'approchant de la rivière, il n' a pas vu les vaches dans le pré ; il est revenu à la maison, et m'a demandé d'aller voir ce qui se passait ici. Quand je me suis trouvé prés de la ferme, j'ai entendu le cochon ; j'ai regardé dans la porcherie, il avait tout mangé le gaillard, il dormait tout son soûl, et il grognait. J'ai pensé que vosne deviez pas être bien loin ; et pui, j'ai vu toute la volaille et les lapins ; ils avaient encore à manger ; alors, je me suis dit : Pierre il y a pas longtemps qu'il est parti, avec la Louise et le petit" (Tout cela raconté en patois limousin, bien sûr ; la traduction me sera faite par grand-père, plus tard).

Grand-père lui raconte, en patois, aussi, nôtre fuite précipitée et nôtre séjour en plein air, dans le aillis de brandes, pas loin d'Orbagnac. Victor, à ce nom, sursaute : "Mais vous savez pas, vous n'avez rien vu ? Les allemands sont passés par là !" Grand-père lui répond que samedi quand nous sommes arrivés dans nôtre bois, il faisait presque nuit. Victor semble rassuré ; il boit un bon coup et reprend : "Alors, vous n'êtes pas au courant de tout ce qui s'est passé à Oradour ? C'est l'horreur ! Ils ont tout brulé ; ils ont massacré tous les gens, il n' y a plus personne de vivant, sauf Madame Rouffanche : rouffancheelle s'est sauvée par une fenêtre de l'église et elle est restée cachée entre des rangs de petits-pois dans le jardin du curé ou de l'instituteur, je ne sais pas au juste. Sacrée femme, c'est qu'elle est pas toute jeune". Après un autre cup de cidre, il continue : "Ils sont enfermé toutes les femmes et tous les enfants dans l'église,  et ils ont mis le feu ; ils sont tous brûlés, sauf deux petits gars qu'on a retrouvé dans le confessionnal qui est resté intact ; pauvres diables, ils ont dû mourir asphyxiés". On ne peut plus arrêter Victor ; il faut qu'il raconte tout ce qu'on lui a dit ; il continue : "on a trouvé des hommes exécutés dans les granges ; paraît même que certains auraient été jetés dans des puits, et puis d'autres qui auraient voulu s'enfuir, ont été fusillés devant chez eux. A la poste, les employées ont été exécutées juste avant le départ des soldats ; ils ont dû abuser d'elles. Dimanche, les gens du coin qui n'avaient pas vu revenir les petits, ont voulu s'approcher du gourg ; ils ont été surpris par de sentinelle et fusillés ; ils avaient installé des mitrailleuses à toutes les entrées du bourg. (Grand-père s'en était aperçu). Dimanche, Antoine a voulu passé par la rivière pour aller voir, lui aussi ; son neveau était parti à l'école, samedi matin et il n'est pas revenu ; comme tous les autres. Au Repaire, tous ceux qui étaient partis à l'école sont mort. Mais, et Julien il est pas avec vous ; lui aussi est  parti à  l'école, samedi ?" Grand-père lui répond qu'il n'avait pas besoin de lui à la ferme ; et si il avait sû ! Victor nous apprend que chez Raymond, aux Cros, eux aussi ont quitté la ferme, très tôt dans l'après-midi du samedi ; ils sont partis chez l'ainé au Breuil et sont revenus juste avant nous, au début de l'après-midi. Tout d'un coup, il repense à Julien "Pauvre diable, lui qui avait déjà plus ses parents, c'est y pas malheureux. Mon pauvre Pierre, mais pourquoi ont-ils fait ça ? Ma pauvre Louise, mais qu'à-t-on fait au Bon Dieu, pour mériter ça ?" Et sans que rien ni personne n'est pû le prévoir, il se met à pleurer. Grand-père s'approche de lui "Victor, mon gars, rentre chez toi, tu vois bien qu'on ne peut plus rien faire ; mais te tracasse pas, on les retrouvera les salauds qui ont fait ça, on les retrouvera, et, même si nos gamins ne reviendront pas, on les jugera et on les punira ; allez rentre à la ferme, tu dis aux parents qu'ont est rentrés, et tu leur passes le bonjour". Après s'être mouché à plusieurs reprises, essuyé les yeux et le nez, terminé son verre de cidre, Victor descend le pré, traverse la rivière et rentre chez lui ; la ferme est juste derrière les arbres qui bordent le Glanet.eglise_11

Le voisin parti, mes grands-parents restent longtemps immobiles, silencieux. Sans doute, pensent-ils à Julien. Je crois qu'ils l'estimaient beaucoup. Peut-être, l'aimaient-ils, un peu ?

Grand-père, après un long moment de pensées et de réflexions, se lève de la chaise : "Quand même, nous sommes vivants, alors que les allemands sont passés à moins de deux cents mètres d'où nous étions ! Heureusement qu'ils ne sont pas restés dans le coin ; mais comment savoir ?"

Oui, comment savoir que les allemands passeraient justement du côté où grand-père pensait lui, nous mettre en sécurité. Mais surtout, comment imaginer, ne seule seconde qu'ils allaient venir spécialement incendier le bourg et en massacrer tous les habitants, et particulièrement les enfants présents dans l'école ?

Grand-mère doit certainement y penser ; ne voulait-elle pas que je termine mon année scolaire à Oradour ? Et si maman n'avait pas insisté ? Encore une fois, maman, quelqu'un, tout la-haut dans le ciel t'aura guidée dans ta décision, prise sans aucune hésitation ; encore une fois, un ange, toujours le même, nous aura protégés tous les deux.

Merci à cet ange ; merci Maman ; comme tu me manques, en ce moment !

Le reste de la journée se passe très vite ; j'aide grand-mère à finir de ranger ; avec mon copain Pataud, je fais rentrer les vaches qui vont retrouver leur étable et la litière toute propre que je leur avait préparé samedi avant nôtre départ précipité.

Contrairement aux habitudes, le repas du soir est copieux. Pas de soupe au lait, mais une bonne omelette avec du jambon, des fraises du potager, et mon verre de lait, tout chad. Plus tard, après quelques caresses à mon chien, je pars me coucher avant mes grand-parents.

Le lendemain matin, aprés avoir retrouvé le plaisir de déguster un bon petit-déjeuner, j'aide grand-mère à nettoyer le clapier ; ce n'est vraiment pas ce que je préfère le plus ; et aujourd'hui, il y a beaucoup de travail. Je ne vois pas grand-père, et m'étant aperçu que les quatre vaches étaient dans le pré, il n'est sûrement pas aux champs. Je demande à grand-mère : elle me dit qu'il est parti au bourg, pour savoir exactement ce qu'il s'est passé ; peut-être aussi se renseigner au sujet de Julien.

Quand grand-père revient, il est très déçu. Il n'a pû pénétrer dans le bourg, l'accès en étant interdit par les autorités. Il ne pourra y revenir que demain ; peut-être !

Les seuls renseignements qu'il a pû obtenir, l'ont été par des témoignages de gens qui ont réussi à s'infiltrer, malgré les contrôles. Malheureusement, tout ce qu'il a appris, ne fait que confirmer, avec quelques détails supplémentaires, le récit épouvantable du brave Victor.

Il envisage donc donc d'y retourner demain, avec des femmes du Repaire qui sont toujours sans nouvelles de leurs petits depuis samedi matin et leur départ pour l'école. Pourtant, maintenant, elles savent, mais continuent à espérer. Grand-père nous raconte que cela fait pitié de les voir dans un état pareil. Cela fait trois jours et trois nuits qu'elles vivent dans la crainte de la triste vérité ; trois jours et trois nuits qu'elles n'ont pas fermé l'oeil. Il est complétement bouleversé. Mais quoi faire, là-aussi ? La plupart des maris sont en captivité, elles ont souvent la charge d'un ou de plusieurs prarents âgés, qui depuis longtemps ne travaillent plus ; et maintenant, leur enfant a été massacré par des criminels, par des barbares. Qu'ont-elles fait, elles aussi, pour souffrir ainsi ? Elles qui sont dures à la tache, qui se lèvent tôt, qui travaillent toute la journée ; et pour gagner quoi ?

Même à mon âge, à huit ans à peine, je trouve que toutes ces personnes sont encore plus malheureuses que celles de la ville. C'est vraiment maintenant que je prends conscience du terrible drame vécu par ces femmes ; je les connais ; je les ai vues plusieurs fois : aux battages, à l'épicerie du Repaire, où on trouve de tout ; et puis ce sont les mamans de mes copains, de mes copines ; certaines, même, sont de lointaines cousines. A  Limoges, je n'ai jamais ressenti de si près la souffrance. On sait, on entend parler, d'untel qui a été fussillé, d'une telle qui a été capturée et expédiée dans des camps de la mort ; oui, on sait, mais on ne connait pas ; ou si peu § Ici, on se connaît tous ; même moi qi ne suis pas du pays ; qui ne suis pas un "pays". Tout d'un coup, alors que je suis reparti aux près, mon brave Pataud toujours à mon côté, je pense : Alors, si c'est vrai, si ils sont tous morts, jene les reverrai plus ; plus jamais ; aux  prochains battages, il n'y aura plus que des grands, ceux qui ne vont plus à l'école et qui travaillent. Ils auront tous plus de quatorze ans, et certificat d'études ou pas, les  femmes comptent sur eux. Je serai tout seul ! Toujours !

Quand je remonte à la maison pour prendre le repas de midi, je pense toujours à ceux que je ne reverrai plus jamais.

Nous sommes encore à table ; grand-père est là ; lui aussi ne semble pas remis de toutes les histoires apprises dans la matinée et contrairement aux autres jours, il ne monte pas faire sa sieste et reste à discuter avec nous.

Pataud aboie ! Mais, c'est pour manifester sa joie ; quelqu'un doit approcher. Nous n'avons pas le temps de nous lever pour voir qui arrive ; on entend le bruit d'un vélo que l'on appuie contre le mur de la cuisine ; Pataud n'aboie plus ; la porte s'ouvre : "Maman, maman ! - Mon petit Michel, oh mon petit, tu es là, tu es bien là, tu es vivant, merci Mon Dieu, Ô, Merci, Merci...! - Maman, ma petite Maman..."

Pleurant à chaudes larmes, serrés l'un contre l'autre, à s'étouffer, nous restons ainsi pendant de longues minutes. Maman me regarde.... et elle me regarde ; comme si elle ne n'avait pas vu depuis des années, comme si j'arrivais d'une autre planète ; elle me caresse le visage, et elle pleure, elle pleure... Et moi, je me dis que c'était cela qui me manquait ; maintenant, surtout ! J'avais besoin de ma Maman, de ses bisous, de ses caresses ; plus rien d'autre ne comptait ; Maman, ma maman était là, avec moi, enfin !

C'est seulement après un très long moment que maman pense à dire bonjour aux grands-parents ; elle s'excuse. Grand-mère, encore sous le coup de la surprise, lui demande si elle veut bien prendre quelque chose : "S'il vous plait, vous me servez uniquement un peu à boire ; j'ai terriblement soif, et je suis en nage". Grand-mère lui sert un verre de lait et un verre de limonade : "Tenez, buvez : mais, vous arrivez de Limoges ; à vélo ? - Oui, bien sûr ; je suis partie de la maison ce matin, vers neuf heures. Je suis passée par des petites routes pour éviter les convois allemands qui remontent vers le Nord. Je suis descendue vers la Vienne que j'ai longée pendant tout mon trajet : Condat, Aixe-sur-Vienne, Saint-Priest, Sainte Marie de Vaux, Saint Victurnien, la Malaise ; j'ai parcouru au moins quarante kilomètres ; c'est long !" Grand-père se tourne vers le réveil posé sur le dessus de la cheminée : "Vous avez mis cinq heures, bon poids".

Maman, après s'être désaltérée me prend sur ses genoux et s'adressant à nous tous : "Vous savez, depuis Samedi, nous ne vivons plus ; je vais vous dire pourquoi ! Avec maman, nous avions décidé de venir passer deux jours avec Michel, pour son anniversaire. En accord avec papa, et le votre, bien évidemment, nous serions restées toutes les deux le Dimanche, et nous serions reparties par le dernier tranway. Donc, samedi, toutes les deux, nous avonspris celui qui part à treize hueres de la gare. Comme tous les samedis, les gens de la campagne viennent chercher le tabac ; comme vous le savez, c'est le jour de la distribution. Quelques uns en profitent pour venir à  Limoges effectuer des petites courses dans le seul grand magasin où l'on peut trouver quelques broutilles. C'est aussi, pour certains, le jour de la distribution des tickets d'alimentation. Il y a donc pas mal de monde. Pendant le trajet, nous discutons avec deux personnes qui se rendent à Cieux.

En arrivant à la grange de Breuil, ce sont elles les premières qui aperçoivent des flammes dans la direction d'Oradour ; nous pensons tous à un incendie de grande envergure ; c'est juste après le virage de Laplaud, que nous découvrons cet horrible spectacle. Tout le bourg est en flammes ; sur le bord de la route, il y a des engins militaires de toutes sortes, principalement des auto-mitrailleuses à chenilles ; mais que se passe-t-il ? Nous n'avons pas le temps de nous poser des questions ; le tramway s'arrête ; nous sommes à l'entrée du bourg, devant les premières maisons. Tout à coup, nous voyons surgir dans le wagon, des allemands, la mitraillette au poing ; deux d'entre-eux se postent en bout de l'allée ; deux autres s'avancent : ils demandent les papiers d'identité ; avec un accent germanique mais dans un français très correct ; ils demandent à toutes les personnes nées ou habitant Oradour de descendre du train.

Pendant ce temps, des mitrailleuses ont été installées tout autour du tramay. Devant nous, à cent mètres, les flammes continuent de dévorer toute l'église. Des soldats courent de tous les côtés ; certains hurlent ; ils ressemblent à des fous. Nous sommes figés, horrifiés devant toute cette furie. Notre voisin de Cieux, un monsieur d'un âge avancé, n'est pas plus rassuré que nous ; d'un signe de la main, il nous conseille de ne rien dire, et de ne pas bouger ; conseil bien inutile, tellement nous sommes paralysées par la peur.

Toutes les personnes descendues du tramway, sont groupées. Sur un ordre, deux soldats séparent les femmes des hommes. Les premières sont dirigées vers le centre du bourg, avant de tourner à gauche dans la direction de l'église ; elles ont dû laisser au sol, toutes leurs courses effectuées à Limoges ; il y a des sacs, des cabas, des paniers. Les hommes, eux, encadrés par une bonne dizaine d'allemands sont dirigés, avec certaines brutalités, vers une ferme située un peu à droite d'où nous sommes ; ils disparaissent très vite de nôtre vue. Peu de temps après, nous entendons très  nettement des crépitements d'armes automatiques. Tous les quatre, nous avons immédiatement la même pensée : Mon Dieu, on vient de les exécuter ! Et puis, encore des bruits de rafales, secs, brefs. Plus loin, nous apercevons des soldats qui balancent je ne sais quoi, des objets sur les toits des maisons déjà en flammes ; peut-être des grenades ou quelque chose qui y ressemble.

Soudain, un grand vacarme : le clocher de l'église, s'effondre, l'instant d'après, c'est toute la toiture qui subit le même sort. Par les fenêtres, dont les vitraux ont éclaté, sortent encore des flammes, qui noircissent aussitôt tous les murs de l'édifice. Et partout, partout, le feu anéantit tout le village. Dans le wagon, la fumée parvient à pénétrer ; l'odeur est désagréable, insoutenable ; de plus, il fait chaud à l'intérieur ; nous suffoquons ; de part la chaleur, bien sûr, mais aussi et surtout de par le drame terrible, insoutenable qui se joue devant nos yeux. C'est tout ; tout, sauf de l'humanité. Comment des hommes, dignes de ce nom peuvent-ils agir de la sorte ? En eux, il n'y a que de la  barbarie, de la cruauté, de la sauvagerie ; oui, c'est cela, car si les bêtes, qui de par leur nature vivent de manière primitive c'est uniquement pour manger, pour survivre, qu'elles agissent de la sorte ! mais des hommes ? Même en éprouvant de la rancoeur, de la haine envers un autre, a-t-on le droit de détruire une vie, des vies ? C'est tout simplement inimaginable ! Il faut être placé comme nous le sommes pour pouvoir être persuadé que c'est malheureusement possible.

Et, aussi, que vont-ils faire de nous. Quel sort nous est-il réservé ? Peut-être sommes nous, tout près du pire !

Sans que rien n'est pû le laisser prévoir, nous sortons de nôtre torpeur : le tramway bouge : doucement, mais sûrement, il prend la direction de Limoges.

Combien de temps sommes-nous restés à assister à ce désolant spectacle ? Une demi-heure, une heure ? Personne ne pense à regarder sa montre.

Longtemps, chacun de nous reste plongé dans les images qui viennent de se dérouler devant lui.

C'est seulement après quelques minutes que nous commençons à commenter, à faire des hypothèses sur le devenir de tous ces gens resté à Oradour, à imaginer le drame vécu par la population locale, et sa souffrance !

Il est déjà tard quand nous arrivons à Limoges. Plusieurs fois, durant le trajet du retour, le conducteur a arrêté le tramway. A chaque fois, il s'est précipité ; sans doute, pour annoncer à tous, l'horrible tragédie à laquelle il venait d'assister.

Lorsque nous parvenons devant la gare des Charentes, dans le quartier Montjovis, 2687_20gare_20montjovisle tramway s'arrête. Deux hommes en civil montent dans le wagon ; c'est la gestapo. "Vous restez ici ; maintenant, c'est le couvre-feu, vous ne devez pas partir ; vous passerez la nuit dans le train. Demain matin, nous viendrons vous dire quand vous pourrez rentrer chez vous".

Nous restons ainsi toute la nuit, sans dormir, sans manger, sans boire. Nous ne sommes plus qu'une dizaine de voyageurs à être revenus de l'enfer. Tous, nous venons d'assister à l'horreur, à l'impensable ; pourtant, personne ne parle, personne ne bouge dans ce wagon ; des images défilent, encore et toujours !

Même avec maman, nous n'échangeons aucun propos. Nous pensons ; chacune de nôtre côté ! Sûrement, nous pensons à toi, mon petit Michel ; le doute nous envahit : et si ta grand-mère avait, malgré mes recommandations, décidé de t'envoyer à l'école ? Nous ne savons pas où tu es, ni ce qui a pû t'arriver. Et à ce moment, pendant toute cette longue nuit, nous ne connaissons pas encore ce qui s'est passé à Oradour ; le massacre de tous ces habitants, hommes, femmes, enfants. Comment pourrions-nous le savoir ?

Lorsque nous arrivons à la maison, ton grand-père est étonné de nous voir revenir si tôt. Lui aussi, n'est au courant de rien.

C'est seulement le soir, à la radio, nous sommes Dimanche, que l'on apprend que le bourg d'Oradour-sur-Glane a été incendié par la division blindée S.S. Das Reich, en guise de représailles. Sans d'autres détails.

Impatiente de prendre de tes nouvelles, j'annonce à ton grand-père, mon intention de rejoindre le Glanet à vélo. Il ne s'y oppose pas : "Si tu veux, Guiguite, mais à ta place, j'attendrais un peu ;  aurons-nous plus de détails demain ; et puis, sûrement que les allemands sont encore là-bas ; il faut être prudent !"

La journée de Lundi est longue ; toujours pas de nouvelles sur le drame d'Oradour ; je suis impatiente de partir. Et dans l'après-midi, un proche voisin, vient de nous avertir : "Les allemands ont incendié tout le bourg d'Oradour, et ils ont massacré tous les habitants". Je ne tiens plus en place, je veux absolument venir ici. Papa me conseille de partir demain matin, surtout maintenant que les allemands sont partis. Et voilà, vous savez tout. Vous ne pouvez imaginer ma joie de vous retoruver tous vivants ; mais Julien, il n'est pas là ?"

Grand-père lui annonce la mauvaise nouvelle. Sur la lancée, il lui raconte notre séjour dans la forêt voisine. "Vous savez, nous avons surtout fait cel apour Michel. Vous nous l'aviez confié, nous ne voulions pas qui lui arrive malheur". Maman est suffoquée : son gamin, pendant deux jours et deux nuits a vécu dans la forêt ; comment pouvait-elle imaginer cela.

"Et tu n'as pas eu peur, mon petit Michel ?"

"Non maman (menteur !), et puis grand-père nous a surveillés".

Plus tard, après le repas du soir, où maman à mangé de la soupe au lait comme moi, nous descendons jusqu'au bord de la rivière. Là, ele me demande si je veux rester ici ou revenir à Limoges.

"Maman, je veux rentrer avec toi, à Limoges et revoir grand-père ; lui aussi me manque. Tu sais ici, ils  sont bien gentils avec moi, mais je suis plus tranquille à la maison."

Après avoir passé une bonne nuit, nous préparons toutes mes affaires, mais maman en laisse beaucoup à la ferme : " Nous ne pouvons tout amener, nous serions trop chargés."

Il n'est pas neuf heures. A pied, nous  descendons jusqu'à la route. Pataud nous a suivis. Je lui fais des grosses caresses, et lui dit que je reviendrai bientôt. Grand-père, depuis le pré l'appelle. Il s'en va ; il va me manquer, mon brave toutou, mais je ne peux pas l'emmener avec moi ; et qui garderai les vaches, maintenant que Julien n'est plus là  ?

Grand-père a plié un sac, qu'il a fixé sur le porte-bagages du vélo ; ça va, je n'ai pas mal à mes petites fesses ; c'est plus confortable qu'avec Tata Madeleine à Saint-Amand, quand nous revenions de faire les courses à la campagne. Décidemment, je deviens un habitué de ce genre de transport ; et là, ce ne sont pas quatre ou cinq kilomètres qui m'attendent, mais une quarantaine, si j'ai bien compris les propos de maman, qui a décidé que nous repartirions par la même route emprunté par elle, la veille.

Nous avançons assez rapidement. Maman pédale encore plus fort que Tata.(voir carte ci-dessous, parcours effectué en vélo en rose) carte_limogesLa première fois où nous descendons de la bicyclette, c'est à la Malaise, pour regarder, avant de traverser la grande route qui relie St Junien à Limoges. Après, roue libre jusqu'à Saint-Victurnien, où nous nous arrêtons un petit moment ; nous buvons un peu d'eau, puis nous repartons, en longeant la Vienne, par une petite route, jusqu'à Aixe. après, nous marcherons souvent ; il y a beaucoup de côtes. Maman est contente, pas fatiguée du tout. En arrivant à Condat, le plus dur reste à faire. Dans une buvette on se repose un bon moment en buvant un peu de limonade. Il est plus de midi ; le temps ne m'a pas paru trop long ; je demande à maman si elle est fatiguée ; elle me répond que tout va bien, et que bientôt nous serons arrivés. Après plusieurs côtes et autant de descentes, nous passons en bas de la montagne des pins ; là, je connais bien. Après avoir traversé la Vienne, nous parcourons le reste du trajet à pied.

Il n'est pas encore deux heures de l'après-midi quand je monte les escaliers à toute vitesse pour aller embrasser grand-père. Lui auss, comme maman, il me regarde, longuement ; il sait maintenant tout ce qui c'est passé à Oradour ; il est content de me voir ; grand-mère aussi ; "Tu vas le lâcher ce petit ; moi aussi, je veux lui faire la bise ; chacun son tour". Et voilà, c'est reparti ! Je retrouve mon ambiance, et mes grands-parents ; qui se chamaillent, comme avant ! Mais je suis bien ici, je suis chez moi !

Même si c'est pas beau ; même si c'est vieux et triste !

Aujourd'hui, ce n'est ni vieux, ni triste ; c'est beau, et je suis avec tous ceux que j'aime ; beaucoup !

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Commentaires
A
vraiment très prenent je ne suis qu'un adolaisant de 15 ans mais suite a la visite du village martyr je me rend compte des fait des jeunesse itlèrienne... est-ce vraiment vous qui avez été dans se contexte aver vous deja temoigner ces fait?...
J'avais quatre ans, mon papa était parti...
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J'avais quatre ans, mon papa était parti...
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