Canalblog
Editer l'article Suivre ce blog Administration + Créer mon blog
Publicité
J'avais quatre ans, mon papa était parti...
23 février 2006

Un long, long hiver

L'hiver se prolonge. La vie devient de plus en plus difficile. Les restrictions se font de plus en plus sentir. Certains se sont organisés ; des filières se sont crées. Le marché noir est maintenant en pleine expansion, mais reste, bien sûr, inaccessible aux gens peu fortunés, et ils sont très nombreux. Les vivres se font de plus en plus rares. Les queues devant les magasins restant encore ouverts, sont de plus en plus longues.

Comme si cela n'était pas suffisant, il fait froid ; terriblement froid ! Là-aussi, les plus démunis peinent à se chauffer correctement.

Nôtre voisine, Madame B., d'un âge avancé, et déjà un peu voutée, n'arrive pas, elle aussi, à satisfaire sa clientèle. Elle vend du charbon ; au sac ; mais aussi au seau, pour les moins nantis.

Parfois, avec un ou deux copains, nous venons l'aider à confectionner des petits fagots de bois sec pour allumer le feu. On en profite pour gratter le sol au bas du tas de charbon, et ainsi ramasser quelques petits boulets en morceaux, qu'en cachette nous apportons à un couple de petits vieux sans ressources, mais gentils comme tout !

Comme quoi, les leçons de morale servent, quand même, à quelque chose. Avant de connaître la signification des deux lettres "B-A", nous les mettons en pratique. Pour soigner les bronchites, les angines, très peu de médicaments. Les médecins ? Comme tout le reste : rares ! La grande majorité d'entre eux a rejoint le maquis. Chez nous, même si la cuisinière "tourne" a plein régime, cela n'empêche pas l'apparition de toux inspirant un peu d'inquiètude. Dans l'attente de l'arrivée éventuelle d'un docteur, j'assiste de très nombreuses fois à l'opération "ventouses", seul remède, heureusement à la portée de tous. Fréquemment, même si là aussi je ne dois pas regarder, je vois, ou maman, ou grand-mère, enflammer le petit bout de coton, le glisser au fond de la ventouse, et retourner celle-ci sur la peau de l'un ou de l'autre, devant, derrière, et chacun à tour de rôle. Devant ce spectacle, je crains qu'une seule chose : et si on m'appliquait le même traitement ? Non, heureusement ! Si je me mets à tousser, maman me fait boire un sirop, m'applique une pommade noire ou marron (?). J'ai droit aussi aux cataplasmes, fabrication maison. Ensuite, au lit, avec une bonne bouillotte, ou une brique, préalablement chauffée dans le four de la cuisinière, enveloppée dans du papier journal, et où je repose mes petits pieds gelés.

A l'extérieur, cela commence à bouger sérieusement.

Depuis le mois de Novembre, le maréchal s'est vu interdire l'accés de la radio. Fini, ses mensonges. Peu de temps après, il est "débarqué". Plus de fonctions.

Avec grand-père, suite aux informations, le travail ne nous manque pas. Il nous faut déplacer  nos petits drapeaux sur la carte. Les alliés remportent des victoires. Après l'Afrique du Nord et l'annéantissement de "l'AfricaKorps" du maréchal Rommel, les allemands sont contraints d'évacuer la Sicile. Peu de temps après, les forces anglaises débarquent en Calabre. Fait important : Mussolini est mis "hors d'état de nuire", le nouveau gouvernement italien signe l'armistice avec les alliés, et déclare la guerre à l'Allemagne. Des forces françaises, en provenance d'Afrique du Nord, se joignent aux alliés, déjà débarqués en Italie du Nord. Sur le front de l'Est, les choses bougent aussi : le siège de Leningrad est terminé : il aura duré presque neuf cents jours, et aura provoqué la mort de plus d'un million de personnes.

Grand-père se frotte les mains ; il entrevoit déjà la victoire.

Maintenant, nous attendons les beaux-jours avec impatience. Les journées sont longues. Avec mon grand-père nous disputons des parties de dominos acharnées : "Dis donc, grand-père, tu ne triches pas un peu ?" -"Je te pardonne ; de tout mon coeur". Grand-mère ne parvient pas à nous faire quitter la table. Elle nous gronde tous les deux. Mais n'a-t-elle pas raison ? Sur son petit évier, elle n'a pas beaucoup de place pour préparer ses repas.

En ce début d'année 44, grand-mère parvient, certes avec difficulté, à se procurer de la marchandise. Deux ou trois fois par semaine, elle monte sur la place. Le jeudi est un grand jour : celui des visites aux malades séjournant dans l'hôpital tout proche. Les gens trouvent encore le moyen d'acheter un "petit quelque chose", à ceux qui souffrent encore plus.

Bien souvent, lorsqu'il fait vraiment beau, avec les copains nous rejoignons grand-mère. Entre deux clients, elle peut nous surveiller ; pas de crainte à avoir : avec elle, il n'y aura pas de bêtises commises.

Sur la plus petite partie de la place, on goudronnée, les filles sautent à la corde, jouent à la marelle, se promènent avec des poupées dans les bras ; des jeux de filles, quoi ! Nous les garçons on élabore de  nouveaux plans pour les embêter. Les stocks de peinture sont épuisés, il nous faut trouver autre chose. Les plus grands, avec des vieux roulement à billes usagés, et des planches récupérées chez Madame B., ou même dans les grenier, fabriquent des traîneaux. Avec un bout de ficelle attaché à l'avant, ils nous tirent à tour de rôle ; parfois, il arrive que les virages soient pris un peu trop vite ; sans frein, sans direction, c'est la chute, le gadin, mais surtout la rigolade, sauf... grand-mère : "Attention les enfants, pas si vite, vous allez vous faire mal". Mais où cela nous amuse le plus, c'est le matin : nous montons en haut de nôtre rue, nous attendons l'arrivée d'une section d'allemands se rendant aux douches, et là, poussés par plusieurs copains, nous dévalons la rue à grande vitesse : "Pas de freins, ôtez-vous !". Obligés de s'écarter dans le plus grand désordre, de cesser leurs chants militaires, certains rient ; d'autres, beaucoup moins, ils nous traitent de "sales petits françouses". Bien évidemment, j'attends que grand-mère exerce son commerce, et soit occupée, pour me joindre à ces parties de rodéos. Quant à maman, du haut de sa fenêtre, elle observe, pas très rassurée, comme toujours, mais elle ne dit rien, sinon "Laisse-le, Guiguite, il ne fait pas de mal, laisse-le s'amuser". Grand-père, est toujours là pour prendre ma défense.

Si nous ne rions pas, il y a des moments où nos coeurs se remplissent de joie. Depuis la place, nous voyons passer, très haut dans le ciel, des milliers et des milliers de bombardiers qui se dirigent vers le Sud, peut-être sur les côtes de Provence ? Illuminés par le soleil éclatant, c'est un spectacle magnifique ; ce sont des milliers d'étoiles qui se déplacent ensemble ; c'est un véritable ballet féérique, régler par le meilleur metteur en scène qui soit : le général Dwight David Eisenhower, commandant en chef des troupes alliés. Au sol, la D.C.A. (défense anti-aérienne) allemande, ne peut intervenir : les avions sont beaucoup trop hauts ; inaccessibles !

De plus en plus souvent, ces longs convois survolent le ciel limougeauds, et nous redonnent espoir.

A la radio, les mauvaises nouvelles diffusées par Vichy succèdent aux informations toujours pleines d'espoir en provenance de Londres.

Vichy accuse les alliés de provoquer la mort de milliers d'innocents lors des bombardements effectués sur le sol français.

La France libre, toujours par la voix de Maurice Schumann répond : "RADIO PARIS MENT, RADIO PARIS EST ALLEMAND" et précise toutes les atrocités commises par les troupes d'occupation, mais aussi par la gestapo.

Au début du mois de Février, toujours fidèles à notre émission du soir, un message répété à deux reprises, signe de véracité, nous informe qu'un ou plusieurs bombardements vont être effectués dans nôtre région. Rien de très précis, en ce qui concerne le lieu et la date.

Le 8 au soir, nous savons que la nuit suivante, l'Arsenal de Limoges sera visé !

Enfin, l'hiver aurait-il une fin heureuse ?

Serait-il synonyme d'espoir ?

Publicité
Publicité
Commentaires
J'avais quatre ans, mon papa était parti...
Publicité
J'avais quatre ans, mon papa était parti...
Publicité