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J'avais quatre ans, mon papa était parti...
1 février 2006

Limoges, début 1940 - Notre demeure

Petits provinciaux, nous habitions à Limoges ; très exactement "l'îlot des Pousses", situé au coeur d'un très vieux quartier "Le Verdurier" ; ainsi nommé puisque à son origine, cet emplacement était tout simplement recouvert de verdure, et faisait partie intégrante du "Château", point culminant et centre de vie de la "Cité", sorte d'agora moderne. C'était au XIIIe siècle.

Toutes les maisons, bâties sur le même moule, étaient fabriquées en torchis, matériau de terre glaise, mélangée à de la paille hachée. Pour donner, sans doute une allure un peu moins moyenâgeuse, un léger crêpi avait été apposé sur l'ensemble, afin de cacher les colombages ; cela vers la fin XVème, début XVIe siècle.

L'intérieur, tout de bois et de plâtre, n'était pas d'un très grand confort.

Nôtre appartement, pour le moins exigu, était situé au 1er étage ; nous le partagions à quatre : mes grands-parents maternels, Michel et Clémentine, ma maman, Marguerite, et moi. Il était composé de :

- La cuisine, relativement grande, où nous passions la majeure partie de nôtre temps ; c'était un peu comme à la ferme, la pièce commune. Il y avait là, le buffet immense, le garde-manger, le vaisselier, la table et ses chaises, un évier minuscule, la cuisinière à charbon, et posé sur une tablette bancale, le poste-radio (la T.S.F.) silvertone_2761_farm__1939__fullmer; dans un coin, près de la fenêtre, l'inamovible fauteuil où grand-père lisait son journal, et épiait tous les va-et-vient de la rue des Petites Pousses, complétait l'ensemble.

- Une chambre, celle des grands-parents, pas très grande, et de surcroît très encombrée : un grand lit, une armoire à linge, une commode et un guéridon, tous les deux entièrement recouverts de napperons, d'objets-souvenirs et de bibelots plus ou moins hétéroclites, et deux fauteuils qu'il fallait déplacer pour avoir accès aux deux fenêtres, qui, comme celle de la cuisine, donnaient sur la rue.

- La chambre où je dormais avec maman était, elle, toute petite. Elle se composait uniquement d'un grand lit, une table de chevet, deux chaises, un petit coin toilette, avec sa cuvette et son broc en porcelaine. A l'inverse des deux autres pièces, cette chambre donnait sur l'impasse de la Loi, et nôtre seul horizon était le mur de l'immeuble d'en face, situé à moins d'un mètre de nôtre minuscule fenêtre.

Bien sûr, et pour en terminer avec la description des lieux, et bien qu'à l'époque cela soit considéré presque comme un luxe, nous avions le "petit coin" pour les  nécessités ; avec accès au fond de la cuisine.

La salle de bains ? la douche ? Nenni !

Pour la toilette, et pour conserver un semblant d'intimité, les grands-parents utilisaient l'évier de la cuisine ; maman et moi, restions dans nôtre chambre après avoir, au préalable, rempli la cuvette et son broc. Régime eau froide pour tous. L'eau chaude, il  nous fallait la puiser dans la grande bassine qui se trouvait en permanence sur la cuisinière.

Ah ! la cuisinière, nôtre cuisinière ! Que serions-nous devenus sans elle ? Elle était à la fois nôtre chauffe-eau, nôtre table de cuisson (le gaz sera installé après la guerre), nôtre four micro-ondes, et surtout, nôtre chauffage central, qui diffusait dans l'appartement une chaleur bien agréable, voire douillette. Il faut savoir qu'à cette époque, les hivers étaient longs, très longs, sans fin, et d'une extrême rigueur.

Combien de fois, ai-je vu nôtre rue enneigée, verglacée impraticable ? En pente très rude, recouverte de pavés d'un autre temps, il fallait prendre appuis sur les murs des maisons pour parvenir à son sommet ; pour la descente, et en prenant quelques précautions, la difficulté était moindre. Il y avait aussi une méthode plus sportive qui consistait à se laisser glisser sur "le train arrière" ; un jour, voulant m'y essayer, mais surtout pour imiter "les plus grands" que moi, je testais le système ; inutile de dire qu'à mon arrivée en bas, juste devant nôtre entrée, loin de me féliciter, grand-mère me fit promettre de ne plus recommencer et m'enjoignis de rentrer dare-dare à la maison. Tête basse, en bougonnant un peu, j'obtempérais et rejoignais le foyer familial.

Dans cet appartement, pas de tapisserie, pas de peinture sur les murs ; du plâtre, qui, il y avait très certainement longtemps, avait dû être blanc ; là, c'était plutôt tendance gris, gris cendre ; quant aux plafonds, dans la même teinte, ils avaient ingurgité toutes les poussières de charbon, en provenance directe dela cuisinière. Toute la journée, été comme hiver, la lumière restait allumée. Dans chaque pièce, une ampoule unique diffusait une lueur blafarde, et dessinait tout autour de l'abat-jour, une auréole oblongue, aux reflets bien pâles, bien ternes ; en un mot, monotones !

Au milieu de cette ambiance quelque peu morose, nous n'étions pourtant pas très malheureux.

Pour s'en convaincre, il suffisait de penser aux habitants de certains quartiers, qui, à l'exemple de celui de la Boucherie, ou plus bas, vers les ponts, n'avaient ni eau courante, ni electricité.

Que dire encore, de la misère qui régnait dans toutes ces tristes demeures, tout au tour de chez nous. Beaucoup de personnes, très âgées et seules, voire impotentes, des mutilés de la grande guerre, des femmes, elles aussi sans compagnon, mais avec un ou plusieurs enfants ; tous ces gens, sans ressource, sans aucune aide qui soit, si ce n'est celle apportée, avec beaucoup de coeur, de courage, et d'abnégation, mais aussi avec parcimonie, abondance de travail oblige, par les "petites soeurs des pauvres" aux moyens bien limités, et en nombre insuffisant.

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