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J'avais quatre ans, mon papa était parti...
2 février 2006

Ma petite famille

Au début de l'année 1936, mes grands-parents ne pouvant plus exercer leur métier, et désirant se rapprocher de maman dans l'attente d'un heureux évènement (moi, en l'occurrence), décidèrent de quitter leur Berry natal.

Grand-père, vendeur, dépositaire et réparateur de machines à coudre d'une grande marque, s'était vu contraint et forcé de cesser toute activité demandant de la précision.

arriere_grand_pere1Poilu de la guerre 14-18, il fut sérieusement blessé aux avant-bras, lors de la fameuse bataille du chemin des Dames, en 1917, sous les ordres du général Nivelle, qui d'ailleurs, lui décerna et lui remît en main propre, à titre personnel, la Médaille Militaire. (la photo du poilu - mon grand-père Michel)

Suite à cette blessure, ses mains, au fil du temps perdaient toute sensibilité. La mort dans l'âme, il dut fermer la boutique, et déménager.

Arrivés dans la capitale du Limousin, avec grand-mère, ils s'intallèrent sur la place Haute-Vienne, en tant que commerçants-étalagistes en fruits et primeurs. Six jours sur sept, à tous vents, par tous les temps, et sans compter leurs heures, ils assuraient à la famille une vie, somme toute, agréable. Les produits frais ne manquaient pas à la maison. Je me souviens même d'avoir "chipé" quelques tomates bien mûres dans le garde-manger de grand-mère, même si, pour commettre ce petit larcin, il me fallait grimper sur une chaise. A ma décharge, je précise que c'est à la suite d'une "privation de dessert" que j'agissais de la sorte. Na !

De son côté, maman ne tenait absolument pas à vivre aux crochets de ses parents. Atteint de troubles respiratoires, j'avais dû  suivre deux cures successives à la station thermale de la Bourboule. Cela avait coûté très cher, et ses petites économies accumulées avant-guerre lorsque papa était voyageur de commerce, avaient fondu comme neige au soleil.

Titulaire d'un brevet des postes (diplôme ô combien considéré à cette époque) elle tenta d'obtenir, en vain, malheureusement, un emploi dans cette administration. Sans doute, n'avait-elle pas sû frapper à la bonne porte,  ni s'adresser au bon samaritain, détenteur du bon sésame.

Timide, réservée, effacée, certes, mais courageuse, adroite de ses mains, méticuleuse à l'excès, et surtout de très bon goût, elle devint modiste. C'était la grande mode des chapeaux.

S'étant souvenue que dans sa jeunesse, elle avait été l'auxiliaire d'une créatrice de mode, elle savait que ce travail n'exigeait que très peu de matériel et un minimum de place. Elle demanda donc à ses parents l'autorisation de s'installer à domicile ; cela lui fut accordé immédiatement. Ayant récupéré une petite table, elle la plaça juste à côté de la fenêtre, afin de bénéficier de la lumière du jour, et de la présence de grand-père, qui, lui était ravi d'avoir de la compagnie.

S'étant créée en très peu de temps une clientèle parmi la petite bourgeoisie du quartier, et son savoir-faire étant très vite connu et apprécié, le travail ne lui manquait pas ; loin s'en faut !

Je la vois encore, ses mains décolorées par les teintures, le visage couvert de sueur, penchée et pesant de toutes ses forces sur les moules, pour donner à l'étoffe encore brûlante la forme souhaitée. J'ai encore en moi toutes ces odeurs : celle du feutre chaud, celles plus âcres des teintures, des apprêts, des solvants ou des vernis. Je vois toujours mon étonnement devant toutes ces babioles insignifiantes, ces fanfreluches (fleurs, fruits, oiseaux, plumes, etc....) posées sur la table, et qui dans quelques instants allaient embellir les extravagants bibis de toutes ces élégantes dames.

Leurs visites, que ce fût pour un essayage ou pour une livraison amenaient un peu de gaieté dans cette simple demeure. J'en ai vu défiler, plus endimanchées, plus parfumées les unes que les autres ; des jeunes, des vieilles, plus ou moins belles, plus ou moins laides ; même des bigotes ; la pratique du culte n'empêchant pas l'art de plaire ; même au Bon Dieu ! Il y en avait des sympa (j'avais droit à des petites gâteries), mais il y en avait d'autres.... Pfft !!!

Mais le plus marrant, c'était les commentaires, disons, un peu ironiques de grand-père? Je me régalais.

A mes yeux, tout allait donc pour le mieux.

J'avais un toit, je mangeais à ma faim, j'avais une maman qui m'aimait, qui me couvait qui me gâtait, un peu trop, peut-être ? J'avais ma grand-mère, un peu sévère avec moi, (c'était l'adjudant de service) mais véritable cordon bleu (ô, ses gâteaux). Et puis, il y avait grand-père, Mon grand-père, mon idole ! Le moustache à la gauloise, régulièrement entretenue, taillée, l'humeur toujours égale, le ton badin, l'esprit blagueur, même moqueur en certaines circonstances. Rien ne semblait le contrarier. Il aurait sû redonner le moral à un régiment entier battant en retraite. Et surtout, il s'occupait constamment de moi. Il me faisait lire, écrire ; il m'apprenait à compter ; tout cela, bien avant l'âge ; c'était un véritable pédagogue. Il me racontait des histoires, vécues ou pas, parfois drôles, parfois tristes, mais auxquelles je prenais un réel plaisir à écouter. Mais, sa qualité première, était de toujours prendre ma défense lorsque j'avais commis une petite bêtise ; même si, cela n'arrivait pas trop souvent. Hum !!!

Parfois, dans la semaine, à la belle saison, nous prenions tous les deux le tramway, ligne n° 6, tram02jusqu'à son terminus, situé à la fin de la rue Armand Dutreix, que nous appelions plus simplement : Faubourg d'Angoulême. Après un petit bout de chemin à pied, nous allions chaparder des pissenlits dans les prés des fermes voisines, juste après l'Aurence. C'était beaucoup plus par plaisir que par besoin.

Les paysans n'acceptaient pas toujours nôtre présence. Il est même arrivé que l'un deux excédé, nous expédia une volée de plombs ; plus pour nous faire peur, que pour nous blesser. Grand-père me saisissait alors, et me prenant sous son bras, nous nous enfuyions, en riant aux éclats.

C'était beaucoup plus amusant que les grandes promenades du Dimanche, où maman et grand-mère se joignaient à nous.

A pied, nous descendions jusqu'au bord de la Vienne, pour ensuite, par la route de Condat, rejoindre la "montagne des pins". Aller et retour, cela faisait bien six ou sept kilomètres. Que c'était loin ! Personne n'avait pitié de mes petites jambes ; et il était strictement interdit à grand-père de me prendre sur ses épaules.. De surcroît, je n'ai jamais vu un seul pin, là-bas ! Des beaux genêts en fleurs, au printemps, des mûres, en automne, et quand il en restait, mais des pins, jamais !

Et pour envelopper tout cela, que cette ville de Limoges était triste le Dimanche ! à pleurer !!!

Heureusement, et pour me remonter le moral, lorsque nous étions, en fin, parvenus à la maison, j'avais droit à une petite récompense. Quand même !

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J'avais quatre ans, mon papa était parti...
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