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J'avais quatre ans, mon papa était parti...
20 février 2006

Séjour berrichon

Le jour "J" dès potron-minet, nous quittons la maison. Après un contrôle place Jourdan, limoges_place_jourdan_24(photo ci-dessous) nous arrivons à la gare des Bénédecitins.

Une surprise très désagréable nous attend.

Juste avant de passer le petit portillon d'entrée, un milicien saisit grand-mère par le bras et la pousse dans un bureau qui jouxte le buffet de la gare.

Que se passe-t-il ?

Le temps nous paraît très long, à maman et à moi.

Soudain, grand-mère réapparaît : elle est blême :

"Nos papier ne sont pas en règle ; ils vérifient".

A peine avait elle prononcé ces mots, que trois ou quatre allemands, casqués, et un milicien (le même que tout-à-l'heure) se mettent devant nous trois, en pointant vers nos poitrines les canons de leurs mitraillettes. Mais que je sache, nous n'avons rien fait ! Nous ne sommes pas des terroristes, ni des partisans. Quoique...!

Les valises à nos pieds, nous n'en menons pas large. Surtout que les quatre ou cinq individus devant nous, n'ont rien de marrant.

Le temps  nous paraît long, très long. Une éternité !

Brusquement, la porte du bureau s'ouvre. Un militaire, avec une casquette celuièlà, remet les papiers à grand-mère, et d'un ton péremptoire : "Raoust, schnell !!!" c'est la première fois que j'entends prononcer ces mots en allemand ; ce ne sera pas la dernière. Comme le disait grand-père, il va falloir s'y habituer.

Sans se poser de questions, nous ramassons nos valises. Encore imprégnés de la peur qui avait été nôtre compagne pendant ces longues minutes, nous dévalons les escaliers qui mènent aux quais.

Quelques minutes plus tard, nous montons enfin dans le train. Et là, à l'unisson, mes deux accompagnatrices craquent. Les larmes jaillissent, grand-mère, le visage inondé, disparaît derrière un gros mouchoir à carreaux violets ; maman me serre contre elle (c'est devenu une habitude) et entre deux sanglots, je l'entends dire : "Mais quand donc cela finira-t-il, mon Dieux, aidez-nous !"

Après un trajet assez long, et deux changements nous arrivons enfin à Saint Amand.stamandmontrond1

A la gare, un monsieur nous attend ; il nous fait monter dans une vieille guimbarde à gazogène jusqu'à la rue du "petit voughan". Peu après, je fais la connaissance de tata Madeleine et de ma cousine Monique : une fille, et qu'est-ce qu'elle est petite (3 ans) !

Je ne pourrai même pas m'amuser avec elle. La barbe !!!

Maman et grand-mère ne restent que deux ou trois j ours. Il leur faut repartir, grand-père ne pouvant pas rester seul trop longtemps.

Me voilà maintenant avec des personnes que je ne connais même pas. Zut, et Zut !!!

Ma tante tient une épicerie-buvette, située juste en face de la gendarmerie.

Il y a toujours beaucoup de monde, surtout autour du comptoir. Comme tata ne peut s'occuper de nous, il y a une jeune personne, (je ne sais même pas si elle est de la famille) pour nous garder, et nous occuper à des jeux qui m'embêtent ; ce sont des jeux de filles. Heureusement, derrière l'épicerie, il y a une grande cour. Au milieu de tous les casiers à bouteilles, je me cache ; je boude tout seul, et pense à tous ceux que j'ai laissés à Limoges.

Plusieurs fois dans la semaine, nous partons à la campagne. Tata accroche une remorque à son vélo ; avec ma cousine nous montons dedans. A bonne allure, nous longeons le canal du Berry, et nous allons chercher de la marchandise dans les fermes. Au retour, malheureusement, il me faut poser mes petites fesses sur le porte-bagages du vélo ; ma cousine, elle, reste dans la remorque. Je ne dis rien ; je me suis rendu compte que ma tante avait la main très leste. Mais j'ai toujours ma petite revanche : dès qu'une bêtisse est commise, et avant que le ou la coupable soit découvert, mon système de défense est toujours le même : "ce n'est pas moi, tata, c'est Monique." Et Vlan ! tant pis pour elle ! Le soir, nous devons partir au lit de bonne heure. Ici, je n'ai pas le droit d'écouter les informations ; c'est réservé aux adultes. Je les entends ; en bas, au café, ça discute beaucoup.

Il n'y a pas un mois que je suis là ; une nuit, alors que nous sommes en plein sommeil, tata nous réveille ; à peine habillés et sans rien nous dire, nous descendons, traversons l'épicerie. Le monsieur qui était venu nous chercher à la gare prend ma cousine sous le bras, moi par la main. Nous traversons la rue ; l'instant d'après, nous sommes couchés dans un grand lit ; à la gendarmerie.

Pourquoi ce déménagement nocturne ; et si vite ?

C'est seulement le main, après le petit déjeuner pris chez les gendarmes que l'on va s'apercevoir que presque tout le quartier est détruit. Tout a été incendié ; tout, sauf quatre à cinq maisons, dont celle de ma tante. Il y a de la  fumée partout. Une odeur âcre se dégage de toutes ces ruines. Il ne reste que quelques pans de murs et quelques morceaux de charpente noircie. Il n'y aurait, heureusement, pas de victime. Des gens, certainement les propriétaires, essaient de sauver tout ce qui peut encore l'être ; pas grand chose !

Mais que c'est-il passé ?

Pour le savoir, il suffit d'écouter les conversations dans le café. La surveillance s'étant un peu relâchée, j'en profite.

L'incendie aurait été allumé par les troupes prussiennes en garnison dans la ville.

C'est la stupeur, la consternation.

En effet, ces soldats en provenance de la Prusse orientale, ne se sentent guère concernés par le conflit actuel.

Très souvent, en patrouille de trois ou quatre hommes, nous les voyons passer dans la rue, en totale décontraction, le fusil crosse en l'air, canon ineliné vers le bas, et obstrué par du papier argenté (style chocolat).

Beaucoup de Saint-Amandais les considèrent plutôt comme des amis ; leur présence évite la venue des troupes allemandes.

Cet incendie a certainement été organisé par la Kommandantur en tant que représailles. Quelques jours plus tôt, une patrouille allemande ayant été entièrement décimée par des maquisards.

Et alors ? Moi qui suis venu ici pour être à l'abri, pour ne pas être trop endoctriné par grand-père, je ne comprends plus. Mais comment maman se débrouille t-elle pour m'emmener où il y a du danger ?

Maintenant, tata hésite à se rendre dans les fermes. Le danger est partout. Les contrôles se multiplient. Avec les gendarmes, nous sommes mis très vite au courant de tout ce qui se passe ; ils connaissent les précautions à prendre, les risques à éviter.

De plus, et c'est rassurant, ceux-là n'aiment pas les boches ; tant mieux !

Tata vient de me trouver une occupation : elle me donne à coller sur des cahiers, les timbres de rationnement. Il y en a de toutes les couleurs ; c'est facile, et je ne suis plus avec les filles.

Cela ne dure pas longtemps. Maman, mise au courant de ce qui vient de se passer ici, vient me chercher pour me ramener à Limoges.

Deux jour après, nous prenons le train.

Je vais pouvoir enfin, retrouver tous ceux que j'aime.

Mais que le trajet est long ! Il me semble que nous sommes encore plus secoués qu'au voyage aller. Heureusement qu'il y a les genoux de maman pour m'asseoir ; les wagons de 3ème classe ne sont vraiment pas confortables, avec leur banquettes rembourrées avec des noyaux de pêches.

Quel plaisir quand même de retrouver la gare de Limoges ; même si il y a encore et toujours les boches.

limoges

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