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J'avais quatre ans, mon papa était parti...
14 février 2006

"Ils" sont là...

Au début du mois de Novembre 1942, grand-mère revient de faire quelques emplettes chez Monsieur D..C'est notre épicier attitré et c'est un ami. Son magasin est situé juste à l'angle du boulevard Louis-Blanc, et de la rue Manigne.

Je suis occupé à travailler avec grand-père. Encore !

Peut-être de l'écriture, peut-être de la lecture ?

Grand-mère entre dans la cuisine, toute essouflée, le visage défaît, comme si le diable en personne venait de lui apparaître.

Avant d'avoir posé son cabas sur la table de la cuisine, entre deux soupirs, elle lâche :

"Ils sont là ; les boches sont là, ils sont à Limoges ; il y en a partout ! partout !!!"

Maman, prise de stupeur, lâche et laisse tomber par terre, le chapeau qu'elle était en train de confectionner.

Grand-père, comme mû par un ressort, bondit de son indécollable fauteuil. Me prenant par la main, il me dit : "Viens avec moi, allons voir ça".

Maman, un peu inquiète, s'insurge : "Papa, tu vas pas emmener Michel avec toi ; si il vous arrivaient quelques chose ; laisse-le à la maison".

Grand-père, plus têtu qu'une mûle : "Mais non, ne t'inquiète pas, Guiguitte, il ne risque rien ; et je suis là". "A tout à l'heure !".

J'étais fier de partir avec grand-père ; sûr, maintenant j'étais un grand ; et il me le prouvait.

Juste après, dans la minute qui suit, nous assistons à un spectacle incroyable : le boulevard Louis-Blanc est entièrement envahi ; comme venait si bien de le dire grand-mère, il y en a partout, même sur les larges trottoirs. Des chars, des automitrailleuses, des camions, des motos, des side-cars. Un peu plus loin, dans la rue Jean-Jaurès, c'est la même chose ; à perte de vue. Des gradés hurlent - Grand-père qui a conservé en mémoire les quelques mots d'allemand appris en 14-18, comprend que des ordres sont donnés. L'air déçu, comme s'il devait être responsable, il se penche vers moi : "Mon petit Michel, il va falloir s'habituer à les entendre aboyer de la sorte, certainement pendant longtemps, je le crains". Reprenant son regard volontaire, et pas résigné pour un brin : "Tous ceux qui sont là-haut (en Angleterre), vont, je l'espère, se dépêcher de nous donner un coup de mains. Il faut les foutre dehors !"

Dans la population, on sent un grand découragement. Les visages sont de plus en plus tendus, crispés.

Les restrictions de toutes sortes, l'arrivée des allemands, l'absence de proches, c'est trop !

A en croire certains, plus rien n'est possible.

Pourtant, d'autres y croient !

Comme par magie apparaît deça-delà, une soudaine floraison d'inscriptions, de graffitis : "Courage, la RÉSISTANCE VAINCRA, MORT AUX BOCHES, VIVE DE GAULLE"... Des croix de Lorraine, aussi.

Si, il y a peu de temps encore, l'angoisse, le doute, la crainte constituaient l'essentiel des sentiments ressentis maintenant, c'est la suspicion qui s'installe : chacun a peur de chacun, tout le monde se méfie de tout le monde. Les gens ne se parlent presque plus. Ils s'épient.

Il n'y a plus de confiance ; en rien, en personne !

Beaucoup, hommes, femmes, justement par crainte d'un mot mal compris, d'un geste mal interprêté, choisissent la solution la plus radicale ; ils rejoignent les combattants de l'ombre ; ils partent au maquis.

Celui-ci devient de plus en plus structuré : des militaires, en provenance d'Angleterre viennent grossir les rangs de l'encadrement. Il reçoit régulièrement de l'aide. Au printemps 43, des forteresses géantes américianes, encadrées par une escorte de chasseurs, parachutent plus d'un millier de containers : des armes, des munitions, des vêtements, de la nourriture...

Dans la ville, la présence des allemands ne se fait pas trop sentir ; pourtant, ils sont mille quatre cents.

Oh ! bien sûr, personne ne peut les ignorer.

Comment en serait-il autrement ?

Dans le quartier, nous ne risquons pas les oublier.

Tous les matins, à heures régulières, section par section, nous les voyons passer devant chez nous.

Sans arme, sans ceinturon, martelant le sol de leurs talons, ils remontent la rue des Petites pousses au pas cadencé, au rythme de chansons militaires.

Ils se rendent aux "bains-douches", sur la place Haute-Vienne, à l'angle du boulevard Gambetta.

Leur retour se fait en ordre plus dispersé, en totale décontraction ; en se racontant des histoires ; parfois des éclats de rire fusent ; sans retenue.

Mais de quoi, de qui, pourraient-ils avoir peur ? Ils sont chez-eux, là ; enfin, ils le pensent. Ce sont les maîtres.

D'ailleurs, de leur part, individuellement, s'entend, on ne ressent aucune agressivité. Bien au contraire, on a l'impression qu'ils ne demandent qu'à s'attirer la sympathie de la population. A l'exemple de ceux que nous rencontrons fréquemment sur le trajet de l'école. Il y a même un regard, un sourire, aussi. Mais si nous les croisons d'un peut trop près, je me serre contre maman, et esquisse un mouvement de repli ; je fais même parfois la moue. (et ça je sais bien le faire).

Un jour, alors que nous remontons la rue des Charseix, l'un deux, (il est jeune, et me semble immense) pose sa main sur ma tête, en prononçant quelques mots de gentillesse. Ma réaction est vive : me hissant sur un des ses grands pieds, je fais mine de cracher. Maman, tremblante, ne sait quelle attitude adopter ; elle s'excuse auprès de ce soldat ; au moins essaye-t-elle ; elle bégaie. Souriant, paraissant encore plus gêné que maman, dans un français très correct, il engage la conversation. Tête basse, je fais semblant de ne pas écouter. Au moment de nous quitter, il se penche vers mois "tu n'es pas un mauvais garçon, mais tu n'aimes pas les allemands ; ce n'est pas grave, au revoir". Non mais, pour qui il se prend, celui-là ; il ne croit quand même pas que je vais lui répondre ? Ah, non !

Arrivés à la maison, maman se met en colère, j'ai droit à une grosse réprimande ; elle me fustige sur mon comportement irresponsable, et me demande de m'excuser auprès d'elle pour l'avoir mise dans un situation critique, voire dangereuse.

Grand-mère s'en mêle ; elle aussi. Elle me menace de privation de fruits, de gâteaux (elle trouve encore des ingrédiants), elle veut m'interdire d'aller m'amuser avec les copains. Elle s'en prend également à gran-père, qui, lui ne dit mot. "Et toi, pépé, (elle l'appelle comme cela) tu n'as pas honte ; c'est de ta faute tout çà ; à force de lui raconter des histoires et des boniments, voilà ce qui arrive. Mais fous-lui donc un peu la paix ; c'est pas de son âge". Et bla-bla-bla... et bla-bla-bla !!!

Moi, à grand-père, je ne lui en veux pas ; pas du tout !

Je promets quand même à maman, de ne plus recommencer.

En me comportant de cette façon, nous pouvions nous attendre à de très graves ennuis. Il n'en fût rien, ce tout jeune militaire, peut-être enrôlé contre son gré, ayant fait preuve de beaucoup de bienveillance à mon égard.

Même si c'est un peu tard, qu'il en soit remercié.

Cet incident, ajouté au mauvais climat qui régne ici n'apportent pas la sérénité dans la tête de maman.

Je l'entends souvent parler à mi-voix avec ses parents. Je me doute qu'elle à l'intention de m'éloigner de ce capharnaüm ; elle a deux solutions : à Oradour sur Glane, chez mes grands-parents paternels ; à Saint-Amand-Montrond où habite ma tante Madeleine, soeur aînée de maman, mais où la situation n'est pas meilleure qu'ici, puisque en zone occupée.

Aprés une réunion "au sommet", le triumvirat familial opte pour la deuxième hypothèse : Saint-Amand.

Des démarches sont aussi tôt entreprises pour obtenir laissez-passer, billets de transport, etc...

Il faut que tout soit bien en règle, en vue des franchissements de zones.

Nous partirons à trois : grand-mère décide de se joindre à nous deux ; elle profitera ainsi de l'occasion pour revoir sa ville aînée ; elle aussi se retrouve seule depuis le départ de son mari au front, et retenu prisonnier en Allemagne, comme malheureusement, beaucoup d'autres.

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