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J'avais quatre ans, mon papa était parti...
22 février 2006

Mais, qui en veut à grand-père ?

Après tous ces petits accrocs, sans dommages, l'année 1943 se termine ; plus aucun déplacement est prévu. Par contre, je suis de plus en plus surveillé, de plus en plus chouchouté ; même ma grand-mère est plus gentille avec moi. Depuis l'incident de la rue des Charseix, je surveille mon comportement ; je me contrôle. C'est parfois difficile, mais.... promis, je me tiens à carreaux !

Depuis plusieurs mois, grand-père se procure, je ne sais comment, "Le Valmy", journal clandestin, édité par les maquisards. Nous sommes tenus au courant de tous les dommages subis par les allemands lors d'attaques surprises sur les routes tortueuses et accidentées du limousin. Malheureusement, il y a aussi des pertes chez les patriotes. Il y a aussi beaucoup de représailles. Des quotas ont été fixés par l'occupant : pour un nombre de tués dans leurs rangs, ils exécutent systématiquement, deux fois, trois fois plus de paysans, de villageois, innocents, responsables en rien, sinon d'exister et d'être là, au mauvais endroit, au mauvais moment.

Ici, en ville nous pensons être à l'abri de tout cela.

Pourtant....

Je suis devant chez nous, au bas de l'immeuble, à discuter avec les copains. (interdit de trop s'éloigner). Soudain, une voiture noire arrive (une traction avant, onze légère). Deux hommes en descendent. L'instant d'après ils ressortent ; avec grand-père, qui me fait signe de ne pas m'inquiéter. Tous les trois s'engouffrent dans la voiture et démarrent. Aussitôt, je grimpe les marches à toute vitesse, même avec mes petites jambes. Maman et grand-mère sont sous le coup de l'émotion, mais elles ne pleurent pas. Avant que j'aie demandé quoique ce soit, elles me rassurent. "Ils sont venus chercher grand-père pour un contrôle d'identité, et aussi pour quelques renseignements". Bizarre, bizarre ! Je ne crois pas ces "mensongeries". Pourtant, et les copains pensent comme moi, c'est pas des gens de la gestapo ! Alors ? Moi, j'ai quand même des craintes. Personne n'ignore dans le quartier que mon grand-père, à moi, est un patriote, un gaulliste ; il ne s'en cache pas ; il n'aime pas les boches ; il ne s'en cache pas non plus. Ne les a-t-il pas combattus en 14-18 ? N'a-t-il pas assez payé pour cela ? Et ses bras, et ses mains, dont, de moins en moins il peut se servir ? Qui gêne t-il ?

Grand-mère se pose elle aussi la question. Il n'a rien fait, qui peut bien lui en vouloir ?

Tout de suite les soupçons se portent sur nos voisins d'en face, au n° 1 de la rue.

Ce sont deux frères, commerçants, exerçant la même profession que grand-mère, mais sur la place des bancs.limoges_la_place_des_bancs__87085002sans_titre(photos : place des Bancs - d'hier et d'aujourd'hui)

Nous n'avons aucune relation avec eux, ni eux avec personne. Juste, "bonjour, bonsoir", sur le bout des lèvres, et bien souvent à contrecoeur, par politesse.

Cela est dû principalement que ces deux messieurs mènent une vie désordonnée, étrange. Pendant très longtemps, avant la guerre, les gens les soupçonnaient d'être des homosexuels. A tort, trés probablement. Depuis l'arrivée des allemands, toutes les nuits, dès la tombée du jour, nous pouvons apercevoir, derrière nos persiennes, tout ce qui se passe chez eux ; ce n'est pas difficile, ils ne se cachent pas ; leurs volets restent ouverts. Normalement, je n'ai pas le droit de regarder, mais je me débrouille. Il y a énormement de soldats, mais aussi beaucoup de femmes : "des filles" ; il y en a des chouettes ! Jusqu'à un heure avancée de la nuit, ils boivent, ils chantent, ils dansent... C'est la nouba !

Aussi, grand-mère, constatant l'amitié de plus en plus affirmés entre nos voisins et les allemands, se demande si ce ne serait pas de là qu'il faut rechercher la cause de nos ennuis actuels. L'aversion de grand-père avant les boches est connue de tout le quartier, dont, bien sûr, de nos deux voisins. Qui sait, si, dans un moment d'euphorie au cours de ces nuits agitées, des mots, des phrases prononcées, peut-être mal interprêtées auraient pû provoquer l'arrestation de grand-père ?

Maman le pense aussi ! Et pourtant...

Un dimanche, alors que nous nous apprêtons à passer à table, on frappe à la porte. Grand-mère, angoissée, se précipite ; elle ouvre. Devant elle, sur le palier, nos deux voisins ! Elle ne pense même pas à les faire entrer dans l'appartement, tant la surprise est grande.

Debout, avec maman, dans l'entrebâillement de la porte donnant sur la cuisine, j'observe et me méfie. J'écoute.

Ayant appris par des rumeurs, que grand-père vient d'être arrêté, ils viennent lui demander si elle accepte qu'ils interviennent auprès de personnes qu'ils connaissent bien. "Ce n'est certainement pas grave, Madame, rassurez-vous, vôtre mari n'a sûrement rien commis de grave ; à son âge !"

Grand-mère semble mal à l'aise. Elle se sent un peu honteuse de son comportement, du mépris affiché jusqu'à aujourd'hui envers ses deux personnes. Elle hésite quelques secondes. Mais l'envie de revoir, le besoin de retrouver son "bonhomme" l'emporte très vite. Avec beaucoup d'humilité, elle répond : "Ah ! je veux bien ; vous savez, il n'a rien fait de mal, peut-être, parle-t-il un peu trop ; en ce moment, il ne faut pas dire n'importe quoi, il faut lui pardonner ; il est pas méchant, ni dangereux ; dîtes-le à ces messieurs".

clementineEmportée par son élan, elle en vient à discuter avec eux des difficultés à exercer un commerce, de la rareté des marchandises, des prix excessifs, etc, etc...(ma grand-mère, Clémentine, devant son étalage, Place Haute-Vienne face à la Mairie de Limoges)

Le lendemain, dans l'après-midi, soit tout de même, près d'une semaine aprés son départ, je retrouve mon grand-père.

Rien ne transparaît ; il a tenu le coup, l'ancien !

Il nous raconte son aventure : ce sont les services de la préfecture, qui, à la demande des autorités en place seraient intervenus, afin de "clarifier certaines choses" et de vérifier son identité : il aurait, d'après eux, un homonyme vivement recherché. (Ne serait-ce pas l à, la cause de nos ennuis à la gare, lors de nôtre départ à Saint-Amand ?) Il a bien été traité. Enferemé dans un local attenant à la prison, en compagnie de deux autres so-détenus, il a surtout manqué de nourriture et trouvé le temps long.

Les copains avaient raison : ce n'était pas la gestapo qui était venu chercher grand-père.

Deux ou trois jours après son retour, reposé et ayant repris des forces (grand-mère s'est débrouilée pour lui faire des bons plats) il se rend sur la place des Bancs, pour remercier nos deux voisins, dont il est certain que leur intervention à bien été utile. Une preuve, s'il en fallait une : ses deux autres compagnons, détenus avec lui, sont restés enfermés.

Si grand-père n'a pas voulu se rendre au domicile de ses deux "sauveurs" (il est têtu et convaincu de ses idées), grand-mère traverse la rue et va leur remettre une bouteille de liqueur qu'elle gardait pour "arroser" le café de son bonhomme. Elle y tient !

Maman, de son côté, sans ignorer la vie pleine de débauches à laquelle se livre nos voisins, en profite pour me faire une leçon de morale. Elle ne rate pas une occasion !

"Tu vois, mon petit Michel, il ne faut jamais se faire une opinion définitive sur autrui. Les actes sont, peut-être à condamner, mais l'âme est bonne. Ne jugeons pas trop vite nôtre prochain ; et n'oublie pas : la médisance est plus qu'un défaut : c'est un pêché."

Eh bien ! Voilà encore autre chose à se rappeler !

Leçon de morale à l'école ; leçon de morale à la maison ! Et puis où, encore ?

Mais rien ne m'empêche de penser : "Mais qui en veut à mon grand-père ?"

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