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J'avais quatre ans, mon papa était parti...
6 février 2006

L'école - La première alerte

Après toutes ces explications (et j'en oublie très certainement), que se passa-t-il dans ma petite tête ?

En l'espace de quelques heures, je venais d'en apprendre beaucoup plus qu'en cinq ans.

Du stade d'"innocent", je passais d'un seul coup, à celui, comme l'on dit en argot d'"affranchi".

J'avais un Papa,

J'avais une PATRIE, la France !

Maintenant, je pouvais me considérer comme un grand ; ou presque !

Possèdant très tôt un esprit assez cartésien, il me fallait trier, et placer tout cela dans des cases bien précises, la haut, dans ma petite cervelle. Mais, Dieu, que cela était bien compliqué. Ou alors, trop à la fois !

Pourtant, en réfléchissant bien, il était évident que si mon papa était loin, loin de moi, de maman, c'est à cause de la guerre.

Mais oui, c'était cela ! Grand-père avait raison ; maintenant, tout était clair dans mon esprit. Et il le fallait ; à l'école, le discours n'était pas du tout le même.

Quelle contradiction !

Nos classes, il me semble que c'est hier, ressemblaient à de véritables musées. Sur tous les murs, il y avait des affiches de toutes sortes. Sur les plus grandes, une mise en garde sur le fléau qui touchait la France : la tuberculose. En gros caractères, il était écrit "CRACHER A TERRE, C'EST ATTENTER A LA VIE D'AUTRUI". Sur des plus petites, mais en plus grand nombre, étaient citées des maximes sur la fraternité, la persévérance, le sacrifice, etc, etc.... Je m'arrête, la liste étant on exhaustive. Et beaucoup de drapeaux tricolores, partout ! Au-dessus de grand tableau noir, étaient épinglées des photos du "Marchéal", elles aussi, cernées de drapeaux identiques.

Nos cours de morale se transformaient très souvent, en une puissante propagande du gouvernement vichyste.

Comme récompense aux leçons bien apprises, aux devoirs biens faits, on nous remettait des "billets de satisfaction", sur fond tricolore (encore !) et au verso desquels étaient inscrits des slogans, tels que "DE L'ACIER, DES CANONS.... LA VICTOIRE !" Nos maîtresses s'efforçaient de nous faire comprendre "qu'il fallait récupérer toutes les ferrailles, pour fabriquer des armes". Mais pour qui ces armes ? Certainement pas pour les partisans, ceux-là étant considérés comme de "dangereux communistes".

Pendant les récréations, nôtre directeur nous apprenait à défiler en rangs serrés, tout en agitant des drapeaux, et en chantant ce refrain si célèbre : "Maréchal, nous voilà !".

Les classes ne se terminaient jamais, sans nous avoir, à maintes reprises, répéter les sempiternelles recommandations d'usage, à savoir : Croire et obéir au Maréchal, et ne pas écouter les messages de l'autre : le général.

C'est au début de l'été 1941, en Juin très exactement que l'occasion nous sera donnée de mettre en pratique, les leçons apprises à l'école.

limoges_champCe jour-là, le champ de Juillet (photo ci-contre) est noir de monde. Il y a là des milliers de Limougeauds, qui sont venus accueillir et acclamer le maréchal. Certains, même, sûrs de leurs idées, arborent à la boutonnière du veston, l'insigne du régime : le francisque.

Quant à nous, écoliers, lycéens, revêtus de bleu, de blanc ou de rouge, selon un ordre bien étudié, on nous a doté de petits drapeaux que nous levons et abaissons à la demande. Et bien sûr, en choeur, nous entonnons "Maréchal...".

Si, par obligation, j'assiste à cette mascarade, beaucoup ne sont pas venus. Ni maman, ni grand-mère, bien sûr, mais encore moins l'ancien combattant, le poilu, furieux d'apprendre la liesse procurée par la venue de cet "individu sans scrupules".

La preuve allait nous être apportée, quelques jours plus tard seulement, que tout cela n'était vraiment que de la mise en scène, et que l'assurance d'un avenir serein et prometteur, n'était en réalisté qu'un affreux mensonge, parmi tant d'autres, du bla-bla-bla, du bourrage de crâne.

C'est un jeudi, à l'époque, jour de repos hebdomadaire pour les écoliers.

Avec maman, nous partons effectuer quelques courses dans le plus grand magasin de la ville : "Les Nouvelles Galeries". C'est le seul commerce où l'on peut encore trouver "un peu de tout". Déjà !

Après les achats, et comme je suis un enfant très sage (?) j'ai droit à une petite faveur : Tout autour du bassin du champs de Juillet, je joue à "Don Quichotte". Oh ! ce n'est certes pas Rossinante que je chevauche, mais tout simplement un joli petit âne, bien gentil, bien docile. Droit comme ce vieil Hidalgo, je ne suis pas peu fier.

Nous venons à peine d'arriver, et alors que je m'apprête à enfourcher ma noble monture, de toutes parts, les sirènes se mettent à hurler. A plusieurs reprises : c'est une alerte ; ma première. Un vent de panique vient à souffler sur tout le jardin. Les gens, nombreux se mettent à courir dans tous les sens ; des cris de frayeur éclatent. Au même moment, un avion passe au-dessus de nos têtes ; l'instant d'après, deux ou trois détonations retentissent. Poussés, littéralement emportés par toutes ces personnes affolées, sans le vouloir, nous nous retrouvons coincés contre un mur, juste au bas des escaliers menant au bassin. Dans le cohue, des "très grands" me montent sur les pieds. Que leur ai-je fait ? Si j'avais été plus fort... Entouré, cerné, même maman me tenant bien serré contre elle, j'ai un peu de peine à respirer. Je ne vois rien, je ne comprends rien ; je n'ai même pas peur.

Mais pourquoi cet avion venait-il de larguer ses bombes ? Et sur les voies ferrées, à moins de cent mètres de nôtre fragile abri ?

Aujourd'hui, plus de soixante années après, les habitants encore de ce monde, et logeant toujours dans le même quartier, se souviennent surtout d'une chose : la troisième bombe, celle tombée la plus près de nous, termina sa course dans le caniveau, sans causer le moindre dommage.

Ouf ! Nous l'avions "échapper belle".

Décidemment, le lieu devait être maudit. Un an plus tôt, exactement au même endroit, la légion allemande "Condor" qui remontait d'Espagne avait déjà frappée, provoquant ce jour-là, de très gros dégâts.

Après la fin de l'alerte, réconfortés par des personnes obligeantes qui tenaient un café, assurés que nous ne risquons plus rien, c'est d'un pas très rapide que nous rentrons à la maison.

En rentrant, je pense aussitôt à mon petit âne.

Que lui est-il arrrivé ? A-t-il eu peur ? Peut-être s'est-il sauvé ?

J'ai hâte de savoir ; il va me falloir revenir au jardin pour prendre de ses nouvelles.

Malheureusement, jamais il ne me sera possible de connaître son sort ; les évènements ne me le permettront pas.

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